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Le droit en débats

Homme, Femme, Personne : qui a vocation à porter un enfant ?

S’il n’est plus nécessaire de subir des traitements stérilisants pour changer de mention de sexe à l’état civil depuis la loi du 18 novembre 2016, il n’est pas pour autant permis d’accéder pleinement à l’assistance médicale à la procréation après une telle modification.

Par Marie Mesnil le 22 Avril 2024

Le recours en excès de pouvoir introduit, le 18 février 2022, par le Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS)1 porte sur les droits reproductifs des personnes trans.

Étaient mises en cause les dispositions relatives à l’âge qui associaient, dans le décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021 fixant les conditions d’organisation et de prise en charge des parcours d’assistance médicale à la procréation, le sexe des personnes à des forces procréatives spécifiques : il convenait ainsi d’être une femme de moins de 43 ans pour un prélèvement d’ovocytes en vue d’une AMP (CSP, art. R. 2141-36) ou âgée de 29 à 37 ans pour auto-conserver (sans finalité médicale) ses ovocytes (CSP, art. R. 2141-37), d’être un homme de moins de 60 ans pour un recueil de spermatozoïdes en vue d’une AMP (CSP, art. R. 2141-36), ou un homme âgé de 29 à 45 ans pour auto-conserver ses spermatozoïdes (CSP, art. R. 2141-37) et d’être une femme de moins de 45 ans pour bénéficier d’une insémination artificielle ou d’un transfert d’embryons (CSP, art. R. 2141-38). Une partie des dispositions dont la légalité étaient contestées a été corrigée, en cours d’instance, par le décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 : les mots « la femme » et « l’homme » ont été remplacés par les mots « une personne » à propos des âges limites pour l’autoconservation de gamètes comme pour leur prélèvement ou recueil dans le cadre d’une AMP (CSP, art. R. 2141-36 et R. 2141-37). De telle sorte que seule restait en débat la question de la conformité à la loi, aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et à la Constitution de l’article R. 2141-38 du code de la santé publique qui limite la vocation à porter l’enfant à la femme du couple. Autrement dit, dans les couples formés d’un homme et d’une femme, l’homme ne peut-il pas aussi avoir vocation à porter l’enfant ? Il ne s’agirait pas de tous les hommes – comme toutes les femmes ne peuvent pas porter un enfant – mais de certains hommes et plus spécifiquement de certains hommes trans, ceux qui ont obtenu un changement de la mention de leur sexe à l’état civil de « féminin » en « masculin » et conservé leurs capacités gestationnelles.

Pour le Conseil d’État, aucun des arguments avancés par le GIAPS ne peut prospérer car ces dispositions réglementaires « se bornent (…) à tirer les conséquences des choix opérés par le législateur » (CE 22 mars 2024, n° 459000, AJ fam. 2022. 305, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2022. 597, obs. A.-M. Leroyer ). Par cette décision sont donc explicitement exclus les hommes trans du bénéfice direct de l’AMP avec tiers donneur. La solution est sans grande surprise dans la mesure où cette limitation des bénéficiaires de l’AMP aux femmes, seules ou en couple, avait déjà été jugée conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022 rendue au cours de cette instance (à propos de la transmission, CE 12 mai 2022, n° 459000, M. Mesnil, La PMA pour tout·tes devant le Conseil constitutionnel, Le droit en débats, 7 juin 2022). Aussi expéditive que soit la réponse du Conseil d’État, l’intérêt de ce contentieux est de mettre en lumière les mécanismes qui président à l’exclusion des personnes trans du bénéfice des techniques reproductives : entre erreur de plume, conception biologisante du sexe et volonté de maintenir la cohérence de la bicatégorisation sexuée, le droit français tâtonne.

S’il n’est plus permis de stériliser les personnes trans, ni de leur empêcher d’auto-conserver leurs gamètes, le législateur français souhaite toutefois restreindre leurs opportunités reproductives à un état de fait. L’absence de reconnaissance, en droit français, de la vocation des hommes à porter un enfant permet de limiter le trouble dans le genre et dans la reproduction.

Considérations juridiques sur les droits reproductifs des personnes trans

Avant de revenir plus précisément sur le contentieux, il est intéressant de souligner qu’aucune disposition juridique n’exclut les personnes trans de l’AMP ou de l’autoconservation de gamètes. Et pour cause, les personnes trans n’existent pas, en droit, comme une catégorie juridique à part entière : il n’existe que deux catégories de sexe, des hommes ou des femmes, et une catégorie générique de personnes renvoyant non pas à un troisième sexe mais aux hommes et aux femmes. Ces trois statuts, que l’on retrouve en matière de filiation (père/mère/parent), sont au cœur du contentieux : le décret du 25 août 2022 ayant substitué le terme de personne (désigné par un article indéfini : une personne) à ceux d’homme et de femme (désigné à l’origine par un article défini marquant une forme d’essentialisation de ces catégories : la femme d’un côté et l’homme de l’autre). D’où la difficulté de viser spécifiquement les personnes trans comme destinataires de règles de droit et le fait qu’elles n’apparaissent qu’à travers d’autres règles.

Le premier corpus juridique qui concerne directement les personnes trans est celui relatif à « la modification de la mention du sexe à l’état civil » (C. civ., art. 61-5 à 61-8). Depuis la loi du 18 novembre 2016, les juges ne peuvent plus refuser la modification du sexe à l’état civil en raison de l’absence de traitements médicaux, d’opération chirurgicale ou de stérilisation (C. civ., art. 61-6, al. 3). L’expression « personnes trans » peut alors renvoyer, de manière restrictive, aux personnes ayant changé de mention de sexe à l’état civil. Cette périphrase a d’ailleurs pu être utilisée par la loi du 2 août 2021 en matière d’autoconservation de gamètes pour raison médicale : il a ainsi été précisé que « la modification de la mention du sexe à l’état civil ne fait pas obstacle à l’application du présent article » (CSP, art. L. 2141-11, I, al. 7). De manière détournée, cet alinéa vise à répondre aux hésitations des médecins quant à l’opportunité de procéder à une autoconservation de gamètes pour les personnes trans, notamment au regard du risque sur la fertilité que représente la prise d’hormones (M. Mesnil, L’autoconservation de gamètes : nouvelle donne ou nouveaux dons ?, JDSAM, n° 32, 2022, p. 37). À notre sens, cet alinéa est toutefois très mal rédigé puisque l’autoconservation de gamètes peut tout à fait intervenir avant la modification du sexe à l’état civil ou même en l’absence de celle-ci. Il l’est d’autant plus que, par une lecture a contrario, il nous semble représenter un danger, à savoir penser que lorsque cela n’est pas explicitement précisé, le changement de mention de sexe à l’état civil fait obstacle à l’application de certaines dispositions juridiques.

Ce qui nous amène au second corpus juridique, celui du droit de la non-discrimination. En effet, l’identité de genre constitue l’un des motifs de discrimination prohibés aux niveaux national et européen. L’identité de genre peut être définie comme « l’expérience intime et personnelle profonde que chaque personne à de son genre, qu’elle corresponde ou non à son sexe de naissance, y compris la conscience personnelle du corps et les différentes formes d’expression du genre, comme l’habillement, le discours et les manières » (Rapport du Commissaire aux droits de l’homme, T. Hammarberg, « Droits de l’homme et identité de genre », oct. 2009, p. 6). Si toutes les personnes sont concernées, les personnes trans et/ou non binaires sont davantage victimes de discriminations en raison de ce motif dans la mesure où leur expression de genre peut s’éloigner des normes sociales attendues. Le droit français n’exclut jamais directement les personnes trans, du bénéfice de certains droits, en raison de leur identité de genre ou de leur changement de sexe à l’état civil mais indirectement, comme le révèle ce contentieux.

Des conditions relatives aux âges à l’apparence neutre

Les dispositions réglementaires contestées précisent le champ d’application des deux mesures phares de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique en matière de procréation, en fixant les conditions d’âge requises pour bénéficier, d’une part, d’une assistance médicale à la procréation (AMP) (CSP, art L. 2141-2) et d’autre part, de la possibilité de faire conserver ses gamètes, et tout particulièrement ses ovocytes, sans raison médicale (autoconservation dite sociétale) (CSP, art. L. 2141-12). Dans les deux cas, ces conditions d’âge sont fixées par un décret en Conseil d’État après avis de l’Agence de la biomédecine. Concernant les âges de l’AMP, il est en outre précisé que ces conditions « prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître » (CSP, art. L. 2141-2).

Le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (ABM) s’est prononcé sur l’ensemble de ces conditions d’âge, dans un avis du 14 juin 2021, en tenant compte « des connaissances scientifiques quant aux risques médicaux de la procréation liés à l’âge, des chances de succès ainsi que de l’intérêt des enfants à naître, considérations qui ont constitué le fil conducteur de l’ensemble des discussions et propositions ». Il a été ainsi proposé de fixer un âge pour les femmes (ponction ovocytaire en vue d’une FIV jusqu’à 43 ans par exemple) et un autre pour les hommes (recueil des spermatozoïdes jusqu’à 60 ans) ; l’âge fixé pour les hommes s’appliquant en fait aussi pour les femmes lorsqu’il s’agit de la seconde femme du couple, celle qui ne va pas porter l’enfant. De la même manière, les âges de l’autoconservation de gamètes hors raison médicale sont d’abord fixés pour les femmes en raison des enjeux liés à la préservation du capital ovocytaire (entre 29 ans et 35, voire 37 ans au cas par cas) et étendu ensuite aux hommes, « dans un souci de cohérence », même s’il est reconnu que ces demandes « seront à l’évidence beaucoup plus restreintes ». Cet avis, qui a été en grande partie suivi par le pouvoir réglementaire, montre que la division sexuée est au cœur des réflexions, comme si l’AMP ne concernait encore que les couples hétérosexuels : non seulement la situation des femmes est traitée d’un côté et celle des hommes de l’autre, mais en outre le sexe des personnes est associé à un type de gamètes, ovocytes ou spermatozoïdes. Cette perspective qui tend à subsumer la capacité gestationnelle et le type de gamètes, spermatozoïde ou ovocytes, sous le sexe à l’état civil de la personne, a été reprise, avant retouche ultérieure, dans le décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021.

Un décret qui oublie ou exclut les personnes trans ?

Bien qu’il eût été possible de discuter aussi des différences d’âge prévues pour les hommes et les femmes au regard du principe d’égalité, le recours pour excès de pouvoir ne portait que sur les personnes trans. Concernant l’impossibilité pour les personnes ayant changé de mention de sexe à l’état civil d’autoconserver leurs gamètes hors raison médicale, on l’a vu, le décret a été corrigé en cours d’instance : ce n’est plus le sexe de la personne à l’état civil qui détermine les âges du recueil ou du prélèvement de gamètes et de mise en œuvre de l’AMP mais bien le type de forces reproductives impliquées, à savoir des ovocytes ou des spermatozoïdes ou encore le fait d’avoir vocation à porter l’enfant ou non. Les dispositions réglementaires étaient manifestement en contradiction avec la loi du 2 août 2021 qui a, en parallèle de l’ouverture de l’autoconservation de gamètes hors raison médicale, explicité que les personnes trans devaient pouvoir préserver leurs gamètes pour raison médicale. S’il s’agissait d’un oubli concernant les gamètes, qu’en était-il du côté de l’AMP et de la possibilité de mener une grossesse ? Autrement dit, les hommes peuvent-ils bénéficier d’un don de spermatozoïdes ? Cette question a d’abord été discutée devant le Conseil constitutionnel, puis devant le Conseil d’État : il s’agissait, d’une part, de savoir si les hommes pouvaient accéder à l’AMP s’ils étaient en couple avec un homme ou en tant qu’hommes seuls et, d’autre part, de savoir si au sein des couples formés d’un homme et d’une femme, l’homme pouvait avoir vocation à porter l’enfant.

Une exclusion conforme à la Constitution

Dans sa décision du 8 juillet 2022, le Conseil constitutionnel juge que le législateur « a estimé, dans l’exercice de sa compétence, que la différence de situation entre les hommes et les femmes, au regard des règles de l’état civil, pouvait justifier une différence de traitement, en rapport avec l’objet de la loi, quant aux conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, d’une telle différence de situation » (Cons. const. 8 juill. 2022, n° 2022-1003 QPC, § 8, D. 2022. 1313 ; ibid. 2229, point de vue B. Moron-Puech ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 662, obs. P. Hilt ; ibid. 855, obs. RÉGINE ; ibid. 1235, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2022. 435, obs. M. Mesnil ; ibid. 401, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2022. 874, obs. A.-M. Leroyer ). Aussi, l’alinéa 1er de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique qui exclut les hommes seuls, ou en couple avec un homme, du bénéfice de l’AMP est déclaré conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit. Les hommes seuls ou en couple n’ont pas accès à l’AMP avec tiers donneur, ce qui conduit à exclure en particulier « les personnes, nées femmes à l’état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles » (Cons. const. 8 juill. 2022, n° 2022-1003 QPC, préc., § 7). Cette périphrase est très largement reprise par le Conseil d’État, qui considère que le législateur avait directement entendu exclure que « des personnes, nées femmes à l’état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles accèdent à l’assistance médicale à la procréation en vue de mener elles-mêmes une grossesse » (CE 22 mars 2024, n° 459000, préc.). Les dispositions de l’article R. 2141-38 du code de la santé publique sont dès lors jugées conformes à la loi et à la Constitution. Cette solution permet d’assurer une forme de cohérence au droit français : quelle aurait été, dans le cas contraire, la justification à l’exclusion des hommes seuls, ou en couple avec un homme, du bénéfice de l’AMP ?

Une exclusion conforme à la Convention européenne

Concernant le contrôle de conventionnalité ensuite, le Conseil d’État juge qu’il n’y a pas d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention, ni de discrimination prohibée par l’article 14 de la Convention. Pour arriver à cette conclusion, la Haute juridiction administrative fait valoir que les hommes peuvent devenir parent autrement que par AMP, voire bénéficier d’une AMP avec leur compagne – tant que c’est donc elle qui a vocation à porter l’enfant. Elle reprend également la justification avancée par le rapporteur public, lors de l’audience, à cette atteinte à l’article 8, à savoir la cohérence du système de filiation : le législateur français en prenant « en considération la situation des personnes au regard de leur état civil en vue notamment de permettre l’établissement d’une filiation maternelle à l’égard de la personne qui accouche » n’excèderait pas la marge d’appréciation dont il dispose en la matière (CE 22 mars 2024, n° 459000, préc.). Une conclusion difficile à partager compte tenu du fait que, avec ou sans bénéfice d’une AMP, des hommes peuvent être enceints. Soulignons en outre qu’il n’existe aucune disposition législative visant l’établissement d’une filiation postérieurement au changement de sexe à l’état civil, au contraire du droit allemand (CEDH 4 avr. 2023, n° 7246/20, A. H. et a. c/ Allemagne, AJ fam. 2023. 290 ; ibid. 245, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 604, obs. A.-M. Leroyer ; 4 avr. 2023, n° 53568/18, O. H. et G. H. c/ Allemagne, AJ fam. 2023. 290, obs. J. Houssier ; ibid. 245, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 604, obs. A.-M. Leroyer ; Lettre Actualités Droits-Libertés, 18 juill. 2023, obs. M. Mesnil) : il n’est donc pas prévu qu’un homme qui accouche soit désigné comme la mère de l’enfant, que ce soit à la suite d’une grossesse « spontanée » ou par AMP. Seules les femmes ont-elles vocation à porter un enfant et à devenir mères ? L’accouchement fait-il nécessairement la mère ? Ne peut-il pas faire aussi un père tout comme, à l’inverse, des femmes deviennent mères sans avoir accouché de leurs enfants, par le biais de la RCA depuis l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes ?

Dans l’ensemble, la motivation de la décision rendue par le Conseil d’État est relativement pauvre et en particulier, à propos de la conformité de l’exclusion des hommes du bénéfice d’une grossesse par AMP aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme arriverait-elle à la même conclusion que le Conseil d’État ? Pour le savoir, il conviendrait qu’elle soit saisie à l’issue d’un recours individuel, – et non par une association qui ne peut se plaindre d’une atteinte à l’un de ses droits fondamentaux – ce qui ne manquera pas d’arriver !

 

1. L’autrice signale qu’elle a participé à ce recours.