Le rapport du comité des États généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, a été remis au président de la République au début de l’été. Ce rapport à l’intitulé ambitieux – Rendre justice aux citoyens– est le prélude d’une prochaine loi de programmation de la justice annoncée par la Première ministre Élisabeth Borne dans son discours de politique générale du 6 juillet 2022. Au-delà d’un « état des lieux sans complaisance » sur la situation de la justice française (P. Januel, Les États généraux de la justice dressent une feuille de route, Dalloz actualité, 9 juin 2022), le comité dresse une synthèse de l’ensemble des contributions et prend position sur les différentes propositions de réformes sectorielles émanant des sept groupes de travail thématiques (justice civile, justice pénale, justice économique et sociale, justice de protection, prison et réinsertion, missions et statuts, pilotages des organisations). Pour l’élaboration de ce rapport, le comité ne semblait avoir aucune limite politique, le président de la République ayant d’ailleurs affirmé que les États généraux ne devaient rien « s’interdire » mais plutôt « penser des solutions parfois radicales, y compris si cela suppose de bousculer quelques positions établies » (discours d’Emmanuel Macron du 18 oct. 2021 sur les défis et priorités du service public de la justice). En matière de justice économique, on pouvait donc s’attendre à une proposition forte pour l’échevinage, c’est-à-dire une composition du tribunal du commerce avec des juges professionnels. Tel n’est pas le cas. Bien au contraire, et à rebours de certaines positions plus anciennes, le comité indique son attachement à la composition sans échevinage des tribunaux de commerce et prend soin de souligner leur « légitimité » (Rapport du comité des États généraux de la justice, avr. 2022, p. 181). Dans le même temps, le comité souligne la nécessité « d’associer au paritarisme le professionnalisme pour répondre aux attentes légitimes des justiciables relatives à la qualité des décisions et des délais procéduraux » (Rapport, p. 181). Le rapport indique notamment que le stock des affaires en cours au sein des tribunaux de commerce s’est accru de manière significative ces dernières années (+ 12 % entre 2015 et 2019) en dépit d’une baisse constante du nombre d’affaires nouvelles (baisse de 48,5 % entre 2005 et 2019). La réorganisation sur fond de professionnalisation de la justice économique semble donc être le point, sinon de tension, du moins de négociation : si la piste de l’échevinage n’est donc pas retenue, une réforme profonde de la justice économique est proposée.
La mise en place d’un tribunal des affaires économiques aux compétences élargies
La proposition majeure du comité est celle de la mise en place à titre expérimental d’un tribunal des affaires économiques dans six tribunaux de commerce de taille différente. En cas de succès, c’est la transformation de l’ensemble des tribunaux de commerce qui est envisagée. La proposition, qui a été formulée par le groupe de travail, reprend celle émise il y a quelques mois par une proposition de loi dans le cadre du projet de ratification de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce (JO 16 sept.). Ce tribunal des affaires économiques aurait une compétence élargie aux associations, professions libérales et agriculteurs qui relèvent actuellement des tribunaux judiciaires. Certains contentieux, jugés plus techniques, resteraient réservés aux présidents des tribunaux judiciaires, pour le contentieux en matière de baux commerciaux, et aux tribunaux judiciaires, pour celui de la propriété intellectuelle, sauf en cas de contestation liée à ces procédures collectives (l’exclusion du contentieux de la propriété intellectuelle n’apparaît pas explicitement dans le rapport du comité mais dans celui du groupe de travail). Le tribunal des affaires économiques deviendrait ainsi le tribunal compétent pour toutes les procédures amiables et collectives, quels que soient les secteurs d’activité. La proposition présente l’intérêt d’amener plus de lisibilité dans l’organisation juridictionnelle des compétences. Elle apporterait aussi une simplification attendue en permettant par exemple de réunir, auprès d’un même tribunal, le traitement des procédures collectives d’une société d’exploitation et d’une société civile immobilière (SCI) appartenant à un même groupe ou aux mêmes associés, et d’apprécier globalement les solutions de redressement qui sont souvent interdépendantes. Cette proposition fait également écho au constat partagé par le comité et le groupe de travail d’adapter les moyens humains des parquets. La complexification de la délinquance économique et les enjeux présents dans le cadre des restructurations d’entreprises conduisent à l’inévitable renforcement des parquets, permettant notamment une présence accrue du ministère public auprès des juridictions consulaires.
La proposition de créer un tribunal des affaires économiques suscite toutefois quelques réserves. D’abord, on peut s’interroger sur l’impact qu’une telle réforme pourrait avoir sur la carte judiciaire. Le rapport du groupe de travail précise, en effet, qu’« en cas de transformation en tribunal des affaires économiques, les “petits tribunaux” pourraient être rattachés – sans être supprimés – à des tribunaux de taille plus importante » (Rapport, t. 3, annexe 15, p. 32). Ce rattachement peut interroger en ce qu’il laisse entrevoir non seulement la restauration des audiences foraines, mais aussi un risque de distanciation géographique du tribunal du justiciable, ce qui peut apparaître contradictoire avec l’objectif affiché du rapport, celui de « rendre justice aux citoyens ». Ensuite, le maintien de compétences au tribunal judiciaire de certains contentieux apparaît quelque peu contradictoire avec la proposition de réforme organisationnelle. Par ailleurs, la question d’un transfert des compétences du tribunal paritaire des baux ruraux au tribunal des affaires économiques aurait pu être pertinente dans cette recherche de lisibilité. En outre, si pendant l’expérimentation le collège électoral ne sera pas élargi (au milieu agricole par exemple), le rapport du comité précise qu’en cas de succès de l’expérimentation le collège électoral devra être modifié. Cette modification nous semble opportune, le fondement de la justice consulaire étant que la justice soit rendue par des pairs. Et ce d’autant plus que certaines règles du livre VI du code de commerce sont spécifiquement adaptées aux agriculteurs, ce qui souligne la nécessité d’une connaissance fine du monde agricole par des juges non professionnels. Enfin, on retiendra que la proposition d’extension du périmètre de l’actuel tribunal de commerce au sein d’un tribunal des affaires économiques est présentée par le comité comme celle qui est la plus cohérente avec les contraintes financières actuelles de la justice. On comprend là que le maintien d’un tribunal non échevinal, composé de juges bénévoles, est aussi un choix de politique budgétaire.
Un financement du procès économique par les parties, et l’extension de l’aide juridictionnelle
La deuxième proposition formulée par le comité est celle de l’expérimentation d’un droit de timbre barémisé qui serait acquitté par la partie requérante à peine d’irrecevabilité de l’instance. Inspiré du modèle allemand, le barème serait déterminé en fonction de l’enjeu financier du litige, mais également « en fonction de la capacité contributive du requérant » (Rapport, p. 184), afin de ne pas entraver l’accès à la justice consulaire. Le groupe de travail propose également d’introduire en cours de procédure « un droit modulable fixé par le juge » qui prendrait en compte le comportement et les moyens des parties. Ce droit pourrait être réduit en cas de transaction ou de désistement et augmenté en cas de pratiques dilatoires, étant observé que la partie qui succombe devra in fine supporter tout ou partie de ces droits selon l’arbitrage du juge (Rapport, p. 184). Pour le droit de fin de procédure, le comité précise qu’il serait « fixé par le juge en fonction du nombre d’écritures, de la durée de la mise en état, de l’existence d’un contrat de procédure et tiendrait compte du comportement des parties en vue d’un règlement diligent du litige » (Rapport, p. 184). Proposé initialement par le groupe de travail pour être appliqué aux juridictions consulaires, le comité propose d’étendre l’expérimentation du droit de timbre « aux litiges économiques portés devant les pôles économiques des tribunaux judiciaires ainsi qu’aux actions engagées en matière de propriété littéraire et artistique et en matière de baux commerciaux » (Rapport, p. 184).
L’idée que la justice commerciale devienne payante avait déjà été évoquée par les tribunaux de commerce comme une solution aux difficultés financières des juridictions (O. Dufour, Et si la justice consulaire devenait [un peu] payante ?, LPA 14 févr. 2017, n° 123w9, p. 7). Dans le rapport du comité, le droit de timbre peut se justifier par le défaut de responsabilisation des parties dans l’engagement des procédures et dans l’épuisement des voies de recours. Toutefois, l’idée se heurte au sacro-saint principe de gratuité de la justice française affirmé par l’article L. 111-2 du code de l’organisation judiciaire et défendu par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 13 avr. 2012, n° 2012-231/234 QPC, Dalloz actualité, 25 avr. 2012, obs. L. Dargent ; AJDA 2012. 789 ). Une dérogation au principe de gratuité ne saurait être admise qu’en présence d’un motif d’intérêt général qui pourrait résider dans l’extension du bénéfice de l’aide juridictionnelle aux entreprises (entreprise individuelle ou société) et aux associations les plus fragiles économiquement ; celles-ci seraient par ailleurs dispensées du droit de timbre. L’instauration d’une aide juridictionnelle pourrait être pertinente pour ces petites structures qui ne disposent pas nécessairement des ressources nécessaires pour intenter une action contre un débiteur. La proposition serait d’autant plus pertinente lorsque la constitution d’un avocat est obligatoire (demande d’un montant supérieur à 10 000 € ou demande indéterminée ayant pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant excède ce même montant (C. pr. civ., art. 761).
Par ailleurs, concernant toujours le volet financier du procès, et conformément aux préconisations formulées dans le cadre de la justice civile, le comité recommande qu’il soit mis fin à une lecture purement indemnitaire de l’article 700 du code de procédure civile et que le juge mette à la charge de la partie qui succombe l’ensemble des frais exposés par la partie adverse avec les mêmes limites que pour le droit de fin de procédure (Rapport, p. 184).
La création d’une procédure de « référé sauvegarde »
Le temps économique étant plus rapide que le temps de la justice, le comité propose d’accentuer les procédures d’urgence au sein des tribunaux de commerce par la création, sur le modèle du référé-liberté des juridictions administratives, d’un référé « sauvegarde de l’entreprise » qui interviendrait dans un délai inférieur à quarante-huit heures afin de pouvoir prendre des mesures urgentes (Rapport, p. 182). Cette procédure de « référé sauvegarde » viserait au prononcé par le juge commercial d’une mesure conservatoire sur requête ou sur référé, permettant ainsi de « figer les termes du litige jusqu’au jugement ». Elle aurait probablement le mérite de permettre un déroulement plus serein du procès, sans que ce dernier ne soit soumis à une pression temporelle liée au devenir immédiat et irréversible de l’entreprise. Au surplus, en matière de trouble illicite, le juge pourrait statuer au regard des circonstances qui existeraient au moment de sa saisine, et non au moment où il statue. Il pourrait alors imposer le maintien des nouvelles circonstances en cas de modification du comportement du défendeur entre la saisine et l’examen de la demande.
La création d’une filière de juges civilistes économiques
Le comité soutient la proposition du groupe de travail de constituer une « filière civile et économique d’excellence assortie de formations spécifiques, de stages en entreprise ou de détachements dans les tribunaux de commerce » afin que les magistrats de carrière civilistes acquièrent une « compétence solide de l’entreprise » (Rapport, p. 25). On relèvera que le rapport du comité ne reprend pas (à l’exception d’une seule mention à la page 185) la distinction opérée par le groupe de travail entre les magistrats de carrière et les juges consulaires, et qu’il conserve celle entre les juges professionnels et non professionnels. Les justifications pour créer une telle filière sont nombreuses : un enrichissement réciproque entre les juges consulaires et magistrats professionnels, la technicité croissante des contentieux, mais surtout la proposition de créer au sein du tribunal des affaires économiques une chambre mixte des sanctions des procédures collectives présidée par un magistrat professionnel du premier grade (Rapport, p. 185). La proposition d’une chambre des sanctions échevinée est ici surprenante d’autant que le comité et le groupe de travail ont bien pris soin de préciser au frontispice de leurs rapports que cette option n’était pas envisagée « à ce stade » (Rapport, t. 3, annexe 15, p. 37) ; à moins qu’il ne s’agisse d’une première pierre.
L’accompagnement des acteurs économiques en difficulté
Plus spécifiquement en matière de droit des entreprises en difficulté, le comité est favorable à une « recodification du code de commerce faisant mieux apparaître le droit applicable aux entrepreneurs individuels » (Rapport, p. 185). À cet effet, le groupe de travail propose d’abord qu’une réflexion soit menée pour la mise en place d’un livre VI bis du code de commerce applicable aux entrepreneurs individuels, ainsi que la mise en place de procédures de conciliation et de redressement simplifié pour les petites sociétés. La proposition de dichotomie procédurale entre les « petites » et les « grandes » sociétés appelle deux observations. D’abord, elle permettrait de donner plus de lisibilité au droit applicable aux entrepreneurs individuels, tout particulièrement depuis la réforme du statut de l’entrepreneur individuel instaurée par la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (JO 15 févr. ; X. Delpech, Consécration du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, Dalloz actualité, 1er mars 2022). Ensuite, elle s’inscrit dans la lignée d’une distinction de plus en plus fréquente faite par le législateur. On pense notamment à la procédure de traitement de sortie de crise applicable aux « petites » entreprises (K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : instauration temporaire d’une procédure judiciaire de traitement de sortie de crise, Dalloz actualité, 7 juin 2021). On se souvient aussi de la procédure de redressement judiciaire simplifié sous l’empire de la loi de 1985. Toutefois, la simplification des procédures et la réduction des délais interrogent dans la mesure où c’est précisément pendant ce temps que les entreprises refont leur trésorerie avec l’objectif de présenter un plan viable au tribunal. Il n’est pas certain que le raccourcissement des délais aille dans le sens d’un meilleur « redressement ».
Le comité reprend également la proposition du groupe de travail pour que soient aménagées les modalités du règlement amiable agricole en le nommant « conciliation agricole et en l’intégrant dans le livre VI du code de commerce » (Rapport, p. 185). Ces modifications auraient le mérite d’apporter plus de clarté et de cohérence. Le professionnel désigné par la juridiction dans le cadre du règlement amiable agricole est nommé conciliateur, ce qui milite pour le rapprochement syntaxique proposé. Par ailleurs, la fin du renvoi au code rural et de la pêche maritime avec l’intégration des textes au sein du livre VI du code de commerce serait un gage de lisibilité certain.
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Le rapport du comité des États généraux de la justice propose plusieurs pistes de réformes qui ne manqueront pas de susciter des réactions si elles sont reprises dans la prochaine loi de programmation. On pense notamment à la création d’une chambre des sanctions « échevinale » au sein des tribunaux des affaires économiques. On pense aussi à l’instauration d’un droit de timbre barémisé qui induit un changement de culture.