Au début du mois de novembre, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) tirait la sonnette d’alarme avec un message aussi explicite que grave : « Après avoir perdu plus de 66 % de ses subventions publiques en cinq ans, l’association ne sera plus en mesure de poursuivre son activité sans une importante mobilisation à la fois politique et citoyenne. »
Avec l’appel au secours vient aussi l’heure des questionnements. Quel bilan tirer de l’action de l’OIP en faveur de la défense et du respect des droits en prison ? Cette action est-elle toujours pertinente ?
Depuis la création de la section française il y a vingt-trois ans, le paysage pénitentiaire de l’Hexagone s’est très largement transformé. Au milieu des années 1990, la prison est une zone de non-droit. Une zone d’ombre aussi. Rien ou presque n’en sort. L’administration pénitentiaire est toute puissante et n’est soumise à aucun contrôle. Dès lors, l’Observatoire s’attribue un rôle de vigie : parce que « les prisons exigent que nous exercions notre droit de regard », comme le rappelait son texte fondateur (« Pour un Observatoire international des prisons », Le Monde, 16 nov. 1991).
Et, dès 1999, l’OIP lance la première campagne pour un contrôle externe des prisons. Avec les succès que l’on connaît : en 2000, les parlementaires s’octroient un droit de visite dans les prisons, suivi quelques années plus tard par la mise en place du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Doucement mais sûrement, l’administration pénitentiaire est contrainte de rendre des comptes. Y compris devant la justice. Traditionnellement, les mesures prises à l’encontre des personnes détenues étaient considérées comme des mesures d’ordre intérieur, relevant de la gestion de la détention, quand bien même elles pouvaient profondément affecter leurs droits fondamentaux : placement à l’isolement préventif, transfert dans un établissement de nature et régime différents, retrait d’un emploi, etc.
Sous l’impulsion contentieuse de l’OIP, le juge administratif les fait progressivement rentrer dans son champ de compétence et impose que ces décisions soient susceptibles de recours, reconnaissant que le prisonnier est un justiciable comme les autres. En parallèle, inlassablement, l’OIP mène en justice des combats pour que soit respectée la dignité des personnes détenues : pour l’interdiction des fouilles à nu systématiques, contre des régimes de surveillance nocturne abusifs, pour la fermeture d’un quartier disciplinaire insalubre ou encore pour la rénovation de bâtiments vétustes et inadaptés.
Ces avancées successives sont évidemment à saluer. Elles ont contribué à faire connaître l’état des prisons et à faire progresser l’état du droit et la jurisprudence. Pour autant, les conditions de détention sont-elles satisfaisantes, le droit appliqué, la dignité respectée ? Non, non et… non. Les 71 000 personnes qui sont aujourd’hui détenues vivent dans des conditions qui restent en grande partie dégradantes. Les deux tiers sont incarcérées dans des bâtiments surpeuplés. Les droits à l’intimité, à la santé, au maintien des liens familiaux, au travail, etc., sont sans cesse mis à mal.
Pourquoi ? D’abord, parce que les pratiques n’ont pas forcément suivi le droit. En cela, il est essentiel que nous puissions continuer à jouer notre rôle de veille, à pointer chaque manquement, chaque défaillance de l’administration : un droit de visite refusé arbitrairement, un détenu entravé lors d’un examen médical sans que les circonstances le justifient, un autre passé à tabac par un agent pénitentiaire ou encore des travaux de rénovation ordonnés et jamais exécutés. Ensuite, parce que le droit est encore loin de s’appliquer à tous les aspects de la vie en détention. Que dire par exemple des commissions de discipline, où le chef d’établissement est à la fois juge et partie, où le droit à la défense n’est parfois que symbolique ? Que dire du travailleur détenu, privé de contrat, de protection sociale, de droits syndicaux, souvent payé à la tâche ? Enfin, parce que les progrès obtenus se sont heurtés à des politiques pénales et pénitentiaires agissant en sens contraire. Ces trente dernières années ont connu une explosion du nombre de prisonniers sous l’effet de politiques pénales répressives et la multiplication des dispositifs sécuritaires, parfois dégradants.
Aussi, les combats qui restent à mener sont encore nombreux. Pour faire progresser le droit, le faire respecter, mais aussi pour faire avancer les réflexions sur le rôle et la place assignés à la prison. En complément et en collaboration avec l’ensemble des autres acteurs de la justice, professionnels ou associatifs, l’OIP a un rôle essentiel à jouer pour œuvrer dans ce sens. En déployant les « armes » qui sont les siennes : le droit et l’information. Et en portant les valeurs qui sont les siennes, d’indépendance, de rigueur, d’exigence, afin d’apporter sa contribution à la vitalité et la richesse du débat démocratique et, au-delà, à une société plus humaine et plus solidaire.