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Le droit en débats

À propos de la nouvelle réforme pénale

Après avoir fait l’objet de vifs débats et de mises en cause parfois outrancières, la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a été, pour l’essentiel, validée par le Conseil constitutionnel (n° 2014-696 du 7 août 2014) et promulguée sans protestation le 15 août 2014 (loi n° 2014-896, JORF n° 0189 du 17 août).

Par Robert Badinter et Pascal Beauvais le 29 Septembre 2014

Cette réforme, qui se veut avant tout pragmatique et innovante, ne méritait pas tant de polémiques. Ce nouveau texte pénal s’inscrit dans la continuité : le principe d’individualisation des peines est consacré dans notre droit criminel depuis le 19e siècle, avant même que Saleilles en théorise les avantages (R. Saleilles, L’individualisation de la peine, réédition, Eres, 2001), et la fonction de resocialisation de la peine est au cœur de la doctrine de la « défense sociale nouvelle » (M. Ancel, La défense sociale nouvelle, éd. Cujas, 1re éd., 1954) qui a largement inspiré la législation d’après-guerre. Quant au caractère subsidiaire de l’emprisonnement, il fait partie du droit positif depuis les années 1970, avec l’introduction des peines alternatives et des modalités d’exécution en milieu ouvert. Et le travail d’intérêt général, la plus symbolique de ces mesures de substitution à l’incarcération, date de 1983.

Il est vrai que, depuis une dizaine d’années, les institutions pénales sont soumises à des exigences contradictoires (Rapport Sénat, n° 641, 18 juin 2014). Alors que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 réaffirmait le caractère exceptionnel de la privation de liberté, le législateur durcissait dans le même temps les peines de prison encourues, leur fixait des seuils minimums (loi n° 2007-1198 du 10 août 2007), et favorisait le recours à l’emprisonnement (loi n° 2002-1138 du 9 sept. 2002 ; loi n° 2005-1549 du 12 déc. 2005). De ce point de vue, la réforme pénale de 2014 marque une rupture. Celle-ci résulte d’abord de la méthode du législateur. Loin de la précipitation et de la surenchère qui caractérisaient les précédentes réformes, le législateur a pris le temps de la réflexion. Sur le sujet complexe et passionné de la lutte contre la récidive, il a suivi une méthode originale et bienvenue consistant à organiser une « conférence de consensus » chargée de réunir tous les savoirs disponibles, de faire remonter les expériences des professionnels, et de procéder à des comparaisons internationales.

Une idée forte et consensuelle a émergé de ces travaux : pour lutter contre la récidive, la sanction pénale est d’autant plus efficace qu’elle est individualisée et tournée vers la réinsertion (Rapport du jury de consensus remis au Premier ministre, 20 févr. 2013). Il faut donc éviter les peines automatiques, uniformes, coupées de la société et concevoir la peine comme un processus personnalisé de retour à la vie commune. La loi du 15 août 2014 abroge donc les peines « plancher » qui, non seulement révélaient une défiance sans précédent à l’égard du juge, mais reposaient sur une conception purement dissuasive de la peine, contredite scientifiquement, selon laquelle l’automaticité et la sévérité de la peine suffiraient à faire reculer la récidive (V. M. Herzog-Evans, Prévenir la récidive : les limites de la répression pénale, AJ pénal 2007. 357 s. ).

Mettre un terme à la facilité politique du recours à des peines d’emprisonnement

La loi « Taubira » n’entend pas supprimer l’emprisonnement, mais seulement en réduire la pratique, et faire de la privation de liberté une peine parmi d’autres. Depuis la suppression des châtiments corporels et l’abolition de la peine de mort, l’emprisonnement et la réclusion criminelle sont devenues les peines de référence du système pénal français. Avec cette réforme, il s’agit de promouvoir au 21e siècle, de nouvelles manières, mieux adaptées à notre temps, plus intelligentes, de punir, en particulier la petite délinquance. Car la surpopulation carcérale, et les conditions de détention indignes qu’elle génère, concernent essentiellement les courtes peines d’emprisonnement, dont l’efficacité pour lutter contre la récidive est depuis longtemps controversée (V. l’étude d’impact du projet de loi, 7 oct. 2013, NOR : JUSX1322682L/Bleue-1).

C’est dans cette perspective que la loi du 15 août 2014 crée la « contrainte pénale », qui réunit, dans une nouvelle peine autonome, différentes mesures de milieu ouvert qui, pour la plupart, existaient déjà mais de manière éparse. Cette réforme n’introduit donc pas la probation en France – que l’on connaît surtout sous la forme du sursis avec mise à l’épreuve – mais elle la valorise en l’érigeant en peine à part entière, en clarifiant son régime et en lui accordant de nouveaux moyens. Car, en comparaison avec le Royaume-Uni, le Canada ou les Pays-Bas, la France n’a jamais acquis une réelle culture de la probation mise en œuvre dans la communauté. Et pour que cette réalité change, il faudra que non seulement l’institution judiciaire, mais plus largement la société civile, à travers le développement de partenariats, promeuvent l’accomplissement de courtes peines au cœur de la cité et du corps social (collectivités, établissements, entreprises, associations). Félicitons donc les auteurs de la loi d’avoir mis un terme à la facilité politique du recours à des peines d’emprisonnement toujours plus lourdes, alors que cette pratique nourrit plus la récidive qu’elle ne réduit la délinquance.

Le législateur n’a toutefois pas été au bout de sa logique : la contrainte pénale n’est pas introduite comme une peine de référence au même rang que l’emprisonnement car elle ne s’y substitue comme peine principale pour aucun délit. Elle n’est donc qu’une peine alternative supplémentaire parmi d’autres (V. CNCDH, avis 27 mars 2014, JORF n° 0087 du 12 avr.). Cependant, son champ est large : dans un premier temps, la contrainte pénale pourra être prononcée pour tous les délits punis de cinq ans d’emprisonnement maximum ; elle sera applicable à l’ensemble des délits à compter du 1er janvier 2017.

L’introduction de la contrainte pénale en France s’inscrit dans un mouvement plus large de la politique pénale européenne (V., P.V. Tournier, La contrainte pénale communautaire, AJ pénal 2013. 127 ). Sous l’influence du Conseil de l’Europe, les États parties ont développé des peines de probation autonomes et enrichies qui vont bien au delà du simple accompagnement socio-éducatif d’autrefois (voir l’étude d’impact du projet de loi, précité). La contrainte pénale comprend ainsi trois dimensions : un volet restrictif de liberté (soumission à un ensemble d’interdictions et d’obligations) ; un volet surveillance (soumission à des pointages, visites ou surveillance électronique) ; et un volet médico-social (obligation de suivre une formation, un stage, un traitement médical, un stage, un TIG). Elle permet donc d’exercer un contrôle à moyen et long termes sur la personne condamnée (jusqu’à 5 ans) dans le cadre d’un « programme » coercitif et modulable.

 Une réforme qui accroît le rôle des juridictions d’application des peines

Cette réforme pénale met également en lumière le rôle croissant des juridictions d’application des peines au sein des institutions pénales. Le juge d’application des peines joue un rôle central dans la contrainte pénale, tant dans la détermination de son contenu que de son suivi et la sanction de son inobservation. C’est une peine systématiquement réévaluée et modifiée, tout au long de sa durée, par le juge d’application des peines. Par exemple, si le condamné a respecté les mesures imposées et que son reclassement paraît acquis, le juge d’application des peines pourra, sur réquisitions conformes du procureur de la République, décider de mettre fin à la contrainte pénale. À l’inverse, en cas d’inobservation des obligations, le juge d’application des peines pourra saisir le président du tribunal de grande instance (ou un juge délégué) afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de l’emprisonnement prévu dans le jugement (art. 22 de la loi du 15 août 2014).

Avec la contrainte pénale, le juge d’application des peines sort donc définitivement de son statut « mineur » d’exécutant des décisions de justice ; il n’est plus un « administrateur » de la peine chargé de mesures socio-éducatives et sans véritables pouvoirs (M. Herzog-Evans, Droit de l’exécution des peines, Dalloz Action, 2013, n° 121.11). Il devient un rouage central d’un nouveau paradigme de justice pénale dans lequel la peine est moins un châtiment ponctuel et définitif, infligé en rétribution d’une faute, qu’un régime continu de contrôle et d’évaluation de la personne condamnée. Cette recomposition des institutions pénales à l’avantage des juges d’application des peines est l’expression institutionnelle de la césure croissante du procès pénal entre, d’une part, la phase de d’établissement de l’infraction et de la culpabilité et, d’autre part, la phase de détermination de la peine – c’est dans cette même perspective que la loi du 15 août 2014 facilite l’ajournement de la peine, le temps d’une investigation concernant la personne déclarée coupable.

Cette césure renvoie aux deux manières de raisonner et de décider en matière pénale : la première est juridique, elle consiste à qualifier les faits et à en tirer les conséquences légalement prévues ; la seconde est pluridisciplinaire, elle vise à évaluer les chances de l’individu de se réinsérer ou les risques qu’il récidive, et de choisir le traitement et les mesures adéquats (V. M. van de Kerchove, Quand dire c’est punir, Publications des facultés universitaires de Saint Louis, 2005, p. 164). La montée en puissance du juge d’application des peines entérine donc cette distinction en privilégiant la seconde manière de faire. Cependant, si l’avènement d’une peine variable fondée sur l’appréciation régulière de la personne permet de mieux tenir compte positivement de ses progrès (amendement, capacité et motivation), elle présente aussi le risque qu’une appréciation de la dangerosité justifie trop aisément des mesures privatives ou restrictives de libertés.

Il faut veiller à ce que la dimension juridictionnelle de la peine ne disparaisse pas au profit de dispositifs socio-médicaux unilatéraux de gestion des risques sans respect des exigences d’une procédure équitable, du débat contradictoire et des droits de la défense. La place, l’organisation et les attributions de la juridiction d’application des peines sont l’un des grands enjeux de la justice pénale de demain. La loi Taubira ouvre à cet égard des perspectives nouvelles qu’il convient d’approfondir, sans se dissimuler que dans ce domaine sensible, tout progrès réel est à la mesure des moyens affectés à la mise en œuvre des réformes.