Rares sont les textes qui viennent troubler le procédurier averti dans ses habitudes.
C’est pourtant bien l’objectif de l’article 18 du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 « relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends », qui ne modifie rien de moins que l’article 56 du code de procédure civile.
Les praticiens appliquent quotidiennement, sans même plus s’en rendre compte, les dispositions de cet article qui énumère les mentions, outre celles « prescrites pour les actes d’huissier de justice », que doit contenir toute assignation.
Ils devront pourtant composer avec le nouvel alinéa de l’article 56 qui disposera désormais que : « Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».
Ainsi, outre les mentions obligatoires prescrites à peine de nullité ainsi que l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée sous forme d’un bordereau, toute assignation – mais également toute requête conjointe ou déclaration au greffe (art. 19 du même décret) – devra préciser « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».
La formulation est simple mais les questions nombreuses.
Que faut-il comprendre exactement par : « diligences […] en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » ? La réponse est plus aisée dans le cas d’un partage judiciaire (V. infra) mais qu’en est-il dans le cadre des autres litiges ?
Dans un nombre non négligeable de cas, des tentatives de négociations auront bien été mises en œuvre entre les parties mais par l’intermédiaire de leurs avocats respectifs. Elles seront donc soumises au strict secret professionnel.
Certes, le décret parle bien des « diligences entreprises » et non pas de leur éventuel contenu mais l’existence même d’échanges entre avocats restera confidentielle.
Sauf dispositions légales ou conventionnelles particulières, la tentative de résolution amiable d’un litige n’est pas obligatoire. Il ne saurait être reproché à un demandeur de ne pas mentionner de « diligences » en ce sens, dans son assignation, si elles n’ont jamais été entreprises.
Si tant est que le nouvel alinéa de l’article 56 ait, d’ailleurs, un quelconque caractère contraignant.
Car quelle efficacité pour ces nouvelles dispositions ?
Leur formulation fait immédiatement penser aux termes de l’article 1360 du code de procédure civile, applicable en matière de partage judiciaire, qui dispose qu’« à peine d’irrecevabilité, l’assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ».
La sanction est indiquée et appliquée par la jurisprudence : l’absence du détail des « diligences en vue de parvenir à un partage amiable » constitue une fin de non-recevoir (V., par ex., Civ. 1re, 28 janv. 2015, n° 13-50.049, D. 2015. 263 ; ibid. 511, chron. I. Guyon-Renard ; AJ fam. 2015. 166, obs. J. Casey ).
Pas de nullité sans texte, seule l’absence des indications limitativement énumérées « 1° » à « 4° » dans l’article 56 peut affecter l’assignation d’une irrégularité de forme. La jurisprudence a depuis longtemps considéré que l’indication des pièces, sous forme de bordereau, n’est donc pas une mention à peine de nullité (V. Civ. 2e, 3 avr. 2003, n° 00-22.066, Bull. civ. II, n° 94 ; D. 2003. 1134, et les obs. ; Procédures 2003. Comm. 132, obs. R. Perrot).
Ainsi, l’absence, dans l’acte saisissant la juridiction, de la mention des « diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » ne semble sous la menace d’aucune sanction.
Tant les avocats, des deux côtés de la barre, que les magistrats et, plus généralement, tous les praticiens, feront sans doute peu de cas de ce nouveau texte pour cette simple raison.
Pourtant, l’article 21 du décret n° 2015-282 introduit un nouvel article 127 du code de procédure civile, qui dispose timidement que : « S’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ».
Cette disposition, que l’on ne pourra, sans commettre un abus de langage, qualifier de « sanction », apparaît inutile à la lecture de l’article 21 du code de procédure civile qui précise qu’« il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».
Ce dernier n’a donc nul besoin, pour tenter de concilier les parties, que le demandeur omette de mentionner, dans son exploit introductif, les hypothétiques diligences entreprises pour un règlement amiable du litige. Fort heureusement.
L’intention des rédacteurs du décret reste incertaine : incitation du justiciable à favoriser la recherche, en amont de l’instance, d’une issue amiable ou outil pour le juge qui sera chargé de trancher le litige ?
Dans les deux hypothèses, l’objectif risque de ne pas être atteint pour les raisons exposées plus avant.
L’absence de caractère contraignant d’une règle lui est souvent fatale, surtout en matière de procédure civile.
Le procédurier, averti ou non, ne sera donc pas bouleversé par les nouvelles dispositions des articles 56 et 58, ainsi que le nouvel article 127 du code de procédure civile, qui entreront en vigueur le 1er avril 2015.