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Le droit en débats

Lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice

Jean-Jacques Urvoas publie, aux Éditions Dalloz, une lettre destinée au futur garde des Sceaux. Il y présente dix chantiers pour les années à venir.

Par Jean-Jacques Urvoas le 19 Avril 2017

Madame la ministre,
Monsieur le ministre,

Tout l’art de la politique est de savoir se servir des conjectures. Et, dans la responsabilité que vous endossez, celles-ci vous inviteront rapidement à l’action.

En effet, non seulement la justice est plus souvent source de critiques qu’objet de félicitations dans notre pays mais, de surcroît, la campagne électorale en a fait un regrettable sujet de polémiques.

Pourtant, son essence même est la concorde puisque la paix véritable ne peut se construire au milieu des injustices de tous ordres. Et, de fait, les hommes l’ont inventée dans le but de dépasser la violence, le lynchage ou la tyrannie de l’instant. C’est pour cela qu’elle occupe une place singulière dans notre organisation publique, au point que Diderot écrivait : « La justice est la seule vertu qui existe ».

Cependant, vous aurez probablement peu loisir d’y réfléchir, tant vous serez sollicité par les urgences. Dans l’action ministérielle, il manque toujours du temps. Sans doute d’ailleurs est-ce la marque de notre société. Faut-il alors s’étonner que nos régimes politiques se soient fait une spécialité des demi-mesures, faute de pouvoir bénéficier du recul suffisant pour penser les réformes vigoureuses ?

C’est pour tenter de pallier cette carence que j’ai engagé le travail que je vous remets. À l’occasion de mes vœux aux personnalités du monde judiciaire, le 17 janvier 2017, j’avais indiqué qu’un ministre doit se comporter comme un jardinier et planter des graines dont seuls ses successeurs profiteront des arbres et récolteront les fruits qui en seront issus. Tout au long de ces mois place Vendôme, j’ai donc inlassablement sarclé, obstinément biné, opiniâtrement semé, en cherchant à renforcer le service public de la justice.

Certaines pousses apparaissent déjà, j’y reviendrai ; j’ai, par exemple, été heureux d’entendre de nombreux chefs de cour ou de juridiction reconnaître qu’ils avaient commencé l’actuel exercice budgétaire avec plus de moyens qu’ils n’en avaient jamais eus. Et certains fruits sont même formés : ainsi toutes les écoles du ministère (celle de la protection judiciaire de la jeunesse à Roubaix, celle des greffes à Dijon, celle de la magistrature à Bordeaux, celle de l’administration pénitentiaire à Agen) fonctionnent-elles au maximum de leurs capacités de formation tant les recrutements ont été conséquents.

Mais, des chantiers majeurs restent encore à mener, pour lesquels le temps m’a fait défaut. Je les ai identifiés de longue date et j’ai rassemblé expertise et technicité pour que les diagnostics soient amplement partagés, au-delà des alternances. De même, j’ai fait évoluer bien des textes qui entravaient notre capacité à les conduire et négocié des évolutions statutaires avec les organisations syndicales partenaires pour que les personnels accompagnent sereinement ces évolutions. Toutefois, ces efforts préparatoires n’annoncent malheureusement pas des concrétisations aisées ou des compromis faciles tant la souplesse et le pragmatisme ne figurent pas au panthéon de nos spécialités nationales. Jules César n’avait-il pas déjà identifié, dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, que la discorde perpétuelle des tribus gauloises constituait leur principale faiblesse ?

Il vous faudra donc agir sans désemparer, avec l’élan nécessaire que permet un début de quinquennat. Pour ce faire, je vous soumets dix chantiers, tous tournés vers une unique ambition : réparer le présent et préparer le futur.

La lettre de Jean-Jacques Urvoas est disponible en cliquant ici.