Il en a été souvent question, son avènement est attendu depuis longtemps et ça y est, juges et plaideurs sont en train de consacrer l’existence d’un véritable droit à l’oubli sur internet.
La porte a été ouverte (ou entrouverte selon certains) par la Cour de justice de Luxembourg (CJUE, gd ch., 13 mai 2014, aff. C-131/12, Dalloz actualité, 21 mai 2014, obs. L. Constantin ; D. 2014. 1476 , note Valérie-Laure Benabou et J. Rochfeld ; ibid. 1481, note N. Martial-Braz et J. Rochfeld ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJCT 2014. 502, obs. O. Tambou ; Constitutions 2014. 218, chron. D. de Bellescize ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 879, étude B. Hardy ) et depuis, les internautes qui voient ressortir des informations gênantes dans les résultats de recherche associés à leur patronyme n’hésitent plus à saisir le juge pour qu’elles soient effacées ou désindexées.
Cette période est riche et intéressante pour le juriste et peut être comparée à celle au cours de laquelle, avant l’adoption de loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, s’élaboraient les responsabilités pénale et civile des intermédiaires techniques.
Une décision du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris apporte ainsi sa pierre à l’édifice en construction (TGI Paris, 23 mars 2015, M. P… c/ 20 Minutes France).
Les faits sont les suivants : dans un article mis en ligne sur son site en avril 2011, le quotidien 20 Minutes, relatait le placement en garde à vue de M.P., sportif célèbre, mis en cause pour des faits de viol.
Trois ans plus tard, en juin 2014, alors que l’article était toujours en ligne, la procédure se clôturait par un arrêt de non-lieu.
Cette information n’était pas reprise sur le site de 20 Minutes.
Le sportif s’adressait alors à la société éditrice et demandait, non pas la suppression de l’article de 2011, mais la parution d’un texte présenté comme un « droit de réponse » mentionnant le fait qu’il avait été innocenté. Simplement, ce texte omettait de préciser la nature des faits qui lui avaient été reprochés.
Fort logiquement, 20 Minutes refusait de publier l’intégralité de ce texte (le délai de 3 mois prévu à l’art. 6-IV de la loi du 21 juin 2004 étant largement dépassé) mais mettait en ligne, le 1er décembre 2014, un court article faisant état du non-lieu. Cependant, l’article, à la différence du texte proposé, précisait la qualification criminelle de viol.
Ainsi, au lieu d’éteindre l’incendie, l’initiative de M. P… n’avait fait que le raviver puisque son patronyme était associé à deux reprises au crime de viol… Il était ainsi confronté à ce qu’on appelle couramment l’effet Streisand : la célèbre chanteuse avait poursuivi, en 2003, deux personnes qui avaient effectué puis diffusé des clichés de sa propriété californienne dans le cadre d’une étude portant sur l’érosion du littoral. Cette procédure avait suscité la curiosité des internautes qui furent plus de 400 000 à voir les photographies en question, pourtant diffusées sur un site plutôt confidentiel.
Dans notre affaire, le sportif s’est alors adressé au juge et a demandé à ce que soit supprimée une publication qu’il avait en partie sollicitée, estimant qu’il avait été procédé à une collecte déloyale de ces données, en application de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 selon lequel toute personne peut s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que ses données personnelles fassent l’objet d’un traitement.
Face à cette demande originale, le juge des référés estimait que la protection instituée par la loi de 1978 relative à la protection des données personnelles, ne devait pas primer sur le droit à l’information portant sur « le fonctionnement de la justice et le traitement des affaires graves ». Dès lors, la parution des nom et âge du mis en cause paraissait légitime.
Selon nous, cette décision est parfaitement justifiée, notamment au regard des précédentes décisions, toutes prises en référé. Ainsi, ce droit à l’oubli a été admis lorsque l’article en ligne avait été jugé diffamatoire (TGI Paris, 16 sept. 2014, M. X… et Mme Y… c/ Google France) ou était ancien, donc dénué de pertinence (TGI Paris, 19 déc. 2014, Marie France M… c/ Google : en l’espèce une condamnation pénale datant de 8 ans).
Or, tel n’était pas le cas ici, puisque l’article était en ligne depuis trois mois seulement et comportait une information véridique.
Par ailleurs, cette demande paraissait contraire, selon nous, aux dispositions de l’article 37 de la loi de 1978 qui prévoient un régime dérogatoire pour la profession de journaliste, en ce que ne peut lui être opposée la durée excessive de conservation prévue à l’article 6-5° de la loi ainsi que l’interdiction de collecter des données relatives aux infractions et condamnations, prévue à l’article 9.
Cependant, le demandeur posait une question supplémentaire qui mérite attention. En effet, il demandait que l’article de 2014 soit anonymisé, que ne soient mentionnées que ses initiales, en application de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978.
Le juge rejetait là encore cette demande estimant que « si l’article en cause ne comportait pas le nom de l’intéressé, il ne pourrait répondre à l’objectif d’information qui le justifie et l’actualisation de l’information initiale donnée en 2011 ne serait pas efficacement réalisée ».
En effet, l’anonymisation demandée pouvait paraître paradoxale dans la mesure où le demandeur voulait que soit rectifiée l’information de 2011 : or, cela était impossible si son identité n’était pas à nouveau révélée…
Se pose en filigrane une question : pourquoi cette anonymisation a-t-elle systématiquement disparu des comptes rendus journalistiques ? Cette interrogation n’agite plus les salles de rédaction depuis longtemps et on ne peut que le regretter : pourquoi devoir publier l’identité complète d’une personne placée en garde à vue pour viol ?
Les débats qui ont occupé les médias allemands relatifs à l’opportunité de publier l’identité du copilote à l’origine du crash de l’avion de la Germanwings apparaissent, vus de France, complètement hors de propos.
Ceci ressort ainsi de la décision du juge, estimant que la révélation de l’identité complète de la personne en garde à vue était nécessaire aux motifs que cette dernière exerçait « une profession faisant appel au public et encadrant une activité proposée notamment aux enfants », légitimant ainsi la stigmatisation opérée par la presse et mettant de côté la présomption d’innocence.
Au final, cette décision est intéressante sur un plan juridique en ce qu’elle vient énoncer les limites de ce droit à l’oubli et sur le plan factuel en ce qu’elle montre que le média internet doit être utilisé avec précaution.
En effet, la toile ne grossit que si on la nourrit : chaque internaute doit en avoir conscience et agir avec prudence.
Cette décision précise ainsi que ce droit à l’oubli, qui est en train d’émerger et sera peut-être un jour encadré par le législateur, ne doit pas être galvaudé, que cette prérogative nouvelle ne saurait servir à effacer les ravages d’un buzz maladroitement provoqué.