Le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, vient de présenter un rapport contre la surpopulation carcérale, qui pointe le doublement de la population carcérale depuis une trentaine d’années – 68 819 détenus au 1er août 2016 – et l’impute à plusieurs facteurs, dont l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement prononcées. À cette occasion, le ministre a annoncé la remise prochaine du rapport sur le bilan de la contrainte pénale, deux ans après l’entrée en vigueur de loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
Cette loi, présentée comme une première étape dans « la remise en ordre » du droit des peines dans la perspective de l’élaboration d’un projet de loi courant 2016, avait prévu la remise par le gouvernement d’un rapport au Parlement « étudiant la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue, et évaluant les effets possibles d’une telle évolution sur les condamnations prononcées ainsi que ses conséquences sur la procédure pénale ».
Ce rapport est attendu avec impatience alors qu’aujourd’hui encore, les chiffres, même s’ils sont en augmentation, sont loin d’être à la mesure des ambitions affichées par le législateur (les prévisions annexées au projet de loi tablaient sur 8 000 à 20 000 contraintes par an). Ainsi, au cours du premier semestre 2016, 716 contraintes pénales ont été prononcées par 115 tribunaux de grande instance (à titre de comparaison, 278 939 condamnations à des peines d’emprisonnement ont été prononcées en 2014 dont 67 468 assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve – total ou partiel).
La contrainte pénale est donc peu prononcée et, alors même que les parquets avaient reçu pour instructions de requérir leur prononcé lors de leurs réquisitions ou de les proposer lors des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ; instructions récemment renouvelées dans le cadre de la circulaire de politique pénale du mois de juin 2016, qui, faisant le constat de la faible utilisation de cette peine par les juridictions, a à nouveau invité les parquetiers à requérir son prononcé, notamment « à la place des courtes peines d’emprisonnement », le sursis avec mise à l’épreuve (SME) étant réservé aux personnes nécessitant un « suivi plus formel et davantage axé sur le contrôle du respect des obligations et interdictions ».
Les raisons de cet échec paraissent liées pour l’essentiel au déficit de crédibilité de cette nouvelle peine, tenant, d’une part, à l’absence de différenciation suffisante par rapport au sursis avec mise à l’épreuve, modalité de la peine d’emprisonnement qui a très nettement la faveur des juridictions répressives puisque, au 1er janvier 2015, on comptait 136 871 condamnés bénéficiaires, et, d’autre part, à l’insuffisance criante des moyens alloués aux services de probation.
La question des moyens alloués aux services de probation et aux juridictions, pour que l’usage de la contrainte pénale produise les effets escomptés en matière de prévention de la récidive, en permettant une évaluation et un suivi du condamné conformes aux règles européennes de probation et qui font tout l’intérêt et l’originalité de cette peine, est en effet indépassable.
Le gouvernement avait certes annoncé la création de 1 000 emplois dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) entre 2014 et 2017, dont 300 prévus par la loi de finances initiale pour 2014, mais ces efforts budgétaires paraissent bien indigents alors que chaque conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) gère plus de 110 dossiers en moyenne (la norme se situant aux alentours de 60) et que le budget annuel de fonctionnement des SPIP est de 24,6 millions d’euros – à comparer aux 8 milliards d’euros d’un budget de la justice déjà bien en deçà des standards des pays du Conseil de l’Europe.
Par exemple, à Reims, chaque CPIP traite 171 peines et la commission pluridisciplinaire interne prévue par les textes (composée du CPIP référent, d’un psychologue et d’au moins un autre CPIP) et instaurée dans chaque SPIP par la note de cadrage de l’administration pénitentiaire du 26 septembre 2014 relative à la contrainte pénale n’a pu se mettre en place en l’absence de psychologue, ce qui a contraint le TGI à limiter le nombre de contraintes prononcées chaque mois pour éviter un alourdissement des charges des CPIP et un désinvestissement corrélatif par rapport au suivi des SME.
Le bilan annoncé permettra de dégager des pistes quant à l’avenir de la contrainte pénale qui peine à s’installer dans le paysage judiciaire : les mesures en concurrence, le SME et le sursis assorti d’un travail d’intérêt général (STIG), seront-elles supprimées comme le recommande, sous certaines conditions, la Commission présidée par Bruno Cotte, dans le rapport déposé le 18 décembre 2015, dans un souci de « clarification » et de « promotion » de la contrainte pénale ? La contrainte pénale sera-t-elle instaurée comme peine principale au lieu et place de l’emprisonnement pour certains délits ?
Ces questions avaient été évoquées lors des débats parlementaires, et avant cela dans le cadre de la conférence de consensus, et examinées dans l’étude d’impact réalisée par la Chancellerie, qui avait finalement décidé de faire coexister dans un premier temps la contrainte pénale et le SME, craignant que la substitution de la première au second n’accroisse la durée des peines privatives de liberté, et de ne pas imposer le prononcé de peines de contrainte pénale en l’instaurant comme peine principale pour certains délits. Mais cette dernière option, votée par le Sénat en première lecture du projet de loi, nécessiterait une redéfinition des conditions du prononcé de cette peine qui, aux termes de l’article 131-4-1 du code pénal, ne s’applique que « lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement et les faits de l’espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ».
Par ailleurs, une partie de la doctrine continue à promouvoir la suppression pure et simple de la contrainte pénale, préconisant toutefois l’intégration au SME des principes de l’évaluation et du suivi fondés sur les données acquises de la science.
Quoi qu’il en soit, l’annonce du garde des Sceaux montre que le rapport sur l’application de la loi Taubira n’est pas enterré et devrait nourrir de nouvelles réflexions dans le cadre de la lutte contre la récidive et contre la surpopulation carcérale.