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Pendant l’été, les palais de justice de Meaux et d’Évry se sont retrouvés équipés de box vitrés pour accueillir prévenus et accusés. L’occasion pour Gérard Tcholakian, du Syndicat des avocats de France (SAF), de revenir sur l’évolution des lieux de justice et ses conséquences pour les justiciables et le travail des avocats.
le 26 septembre 2017
La rédaction : Vous avez engagé, avec le SAF, des recours contre l’installation des box vitrés dans les salles d’audience. Quand et pourquoi avez-vous mené ces actions ?
Gérard Tcholakian : Cela a commencé début 2000, à l’occasion d’un procès devant la 10e chambre correctionnelle de Paris : des prévenus basques se bagarraient avec les gendarmes. Le président d’audience a alors dit qu’il ferait valoir son droit de retrait s’il sentait que sa sécurité était menacée. La salle d’audience s’est transformée et on s’est retrouvés avec un box, un bocal de verre inamovible, doté d’un hygiaphone. L’ensemble avait été mis en place à titre expérimental (v. Dalloz actualité, 6 nov. 2015, art. A. Portmann isset(node/175513) ? node/175513 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>175513). Mais en réalité, cela s’inscrit dans le problème plus général de l’évolution des palais de justice.
Historiquement, ils étaient situés au cœur des villes, avec cette architecture imposante, ces colonnades. Avec le temps, ils sont devenus trop petits, mal équipés, voire dangereux. À partir du début des années 1980, les tribunaux sont relégués à la périphérie des villes (à l’exception de ceux de Nantes et de Melun) avec une architecture à dominante pratique. Ce ne sont plus des bâtiments immédiatement reconnaissables, ils pourraient abriter n’importe quelle administration.
L’architecture intérieure des palais de justice est aussi modifiée, on ne peut plus y circuler comme avant. Dans le futur tribunal de grande instance (TGI) de Paris, haut de 38 étages, on circulera avec une carte à puce. Cela posera à l’évidence des problèmes, pour les avocats de province et de la périphérie, ou même pour ceux qui ne fréquentent pas habituellement le pôle pénal. La circulation dans les palais de justice du XXIe siècle est assez limitée, finalement. Et je ne parle pas de la disparition des lieux de convivialité, qui réunissaient magistrats, avocats et personnels, comme la buvette du TGI de Paris ou celle de Bobigny. Seule reste, pour le moment, celle de Créteil.
La rédaction : Quelles conséquences sur les salles d’audience ?
Gérard Tcholakian : Cette nouvelle logique de conception des palais de justice a conduit à des réflexions sur les salles d’audience. À Paris, par exemple, on nous promet 90 salles d’audience. Mais quelle sera leur taille ? Il a en effet été établi, concernant les salles d’audience, que plus la salle est grande, plus le respect à l’égard du magistrat est grand. Dans des petites salles, les magistrats risquent de se sentir en insécurité. Par ailleurs, à Paris, quid de la publicité des débats dans les salles qui seront situées aux 2e, 4e et 6e étages ?
Toujours concernant la géographie des salles d’audience, les avocats auraient pu saisir l’occasion de l’édification des nouveaux palais pour remettre en cause la place du procureur, et notamment réparer la fameuse « erreur du menuisier » qui plaçait le parquet en position surélevée par rapport aux avocats. Cela a d’ailleurs été fait dans la nouvelle cour d’appel de Fort-de-France (v. Dalloz actualité, 10 mars 2015, art. M. Babonneau isset(node/171568) ? node/171568 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>171568). Au-delà de la hauteur se pose aussi le problème de la place du représentant du ministère public. Puisqu’il se revendique comme une autorité indépendante, pourquoi n’est-il pas placé face aux juges, mais toujours perpendiculairement ?
L’autre problème, notamment avec les box en verre, c’est celui du son dans les salles d’audience. Par exemple, à Saint-Étienne, dans la nouvelle cour d’assises, aucun micro ne fonctionne. C’est pareil à la 10e chambre du TGI de Paris. Récemment, la présidente a dû prendre un micro à main pour être entendue. Quelquefois, on a l’impression que personne n’entend rien, c’est comme un huis clos de fait. Le prévenu, ou l’accusé, dans son box en verre, n’entend pas non plus.
La rédaction : Quels autres problèmes posent ces box ?
Gérard Tcholakian : Il y a par exemple celui des interprètes. C’est un problème général, mais lorsqu’il y a des box fermés, où les place-t-on ? Debout devant le box, assis à l’intérieur ? À Aix-en-Provence, en 2003, lors d’un procès, des interprètes sont allés à l’intérieur du box, mais l’ont vécu comme un véritable calvaire.
Et les avocats, où les place-t-on ? Devant le box, ils auront du mal à communiquer discrètement avec leur client qui est à l’intérieur et aussi des difficultés à communiquer avec leur client qui comparaît libre, puisqu’ils seront à distance de lui. En outre, selon la Cour européenne des droits de l’homme, les box en verre doivent répondre à certaines caractéristiques. Celles-ci ne sont pas toujours respectées. Au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, il a un grillage. À la cour d’assises de Colmar, ce sont des barreaux. À Orléans, le box est totalement indigne.
La rédaction : Aucune concertation n’a eu lieu avec les avocats pour ces nouveaux aménagements ?
Gérard Tcholakian : Il n’y a pas eu de discussions contradictoires avec les organisations syndicales d’avocats. Les Ordres, dont quelques membres – rarement des pénalistes – étaient présents au sein d’un comité de pilotage, ont donné leur bénédiction à ces nouveaux palais. Et la Chancellerie s’en prévaut par la suite. Les Ordres ne veulent pas aller à l’affrontement avec le chef de la juridiction sur ces questions et acceptent beaucoup de choses.
La rédaction : Il y a les box, et il y a aussi la visioconférence…
Gérard Tcholakian : La visioconférence a d’abord été mise en place, à titre d’expérimentation, dans les années 2000. C’était pour communiquer avec Saint-Pierre et Miquelon. Le principe a été étendu dans le code de procédure pénale et, par la suite, une circulaire de 2009 a promu le recours à la « visio ». Même si ce procédé ne permet pas de plaider le fond des affaires, des écrans ont fleuri un peu partout dans les juridictions. Les avocats se sont adaptés, malgré les problèmes qui se sont fait jour : dans les prisons, les écrans sont minuscules, souvent le son est désastreux parce que les micros ne marchent pas, les locaux, dans les lieux d’incarcération, ne garantissent pas la confidentialité. Il n’y a pas longtemps, lors d’une visio, la caméra dans la salle d’audience était cadrée sur les dos des magistrats ! Tout cela n’est pas sérieux car la technique ne suit pas. Par ailleurs, le danger de recourir à la visioconférence « de confort » existe. C’est en effet plus pratique pour les magistrats et même pour les avocats, car pour une audience en visio, une heure précise est fixée et ils n’ont pas à attendre comme pour une audience classique.
Il n’est pas question de s’opposer par principe aux nouvelles technologies, mais une justice où tout serait dématérialisé serait un enfer. La dématérialisation du dossier a conduit déjà à d’importants changements, car on ne lit pas les choses sur un écran comme on les lit sur le papier. Les modifications opérées dans les salles d’audience, aujourd’hui, font que la personne jugée est extérieure à son propre procès, comme l’étranger du roman de Camus. Il est dans une bulle, dans un bocal, il est jugé à distance. Or, comme le disait le bâtonnier Danet, lors des procès, les corps en disent souvent plus que les mots. Désormais, on ne voit plus les corps.
Le président du SAF, Bertrand Couderc, lors d’un rendez-vous avec la garde des Sceaux la semaine dernière, lui a fait part de nos inquiétudes sur ses sujets. En fonction de la réaction de la Chancellerie, il sera ensuite décidé si le SAF entend mener une action collective sur ces questions au plan national ou si des actions seront menées palais de justice par palais de justice.
Ce qui est déplorable, c’est que tous, magistrats, avocats, justiciables, nous nous habituons à ces aménagements, nous ne voyons plus ce qui se passe dans nos palais et nous finissons par accepter l’inacceptable. Un jour, on ne sortira plus les gens de leur prison et ça paraîtra normal.
Gérard Tcholakian
Gérard Tcholakian est avocat à Paris. Membre du Conseil national des barreaux (CNB) de 2003 à 2005, il est actuellement membre du bureau national du Syndicat des avocats de France (SAF). Il est également membre de la Commission de suivi de la détention provisoire.
Il a été à l'origine de l'action judiciaire qui a conduit à la fermeture du dépôt des étrangers du palais de justice en 1994. Il a également été l'avocat du SAF pour les actions menées sur les box des salles d'audience à Paris et Versailles en 2004 et de la cour d'assises de Grenoble en 2015.