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Interview
Droit de l’environnement : « Plus que de nouveaux textes, il faut travailler sur leur application »
Droit de l’environnement : « Plus que de nouveaux textes, il faut travailler sur leur application »
Députés et sénateurs ont finalement abouti à un accord sur le projet de loi Climat. Ce texte modifie la justice environnementale : écocide, renforcement des amendes, référés, etc. Toutefois, les apports sont mitigés. Nous avons interrogé à ce sujet Julien Bétaille, maître de conférences à l’Université Toulouse 1, qui, pour la mission de recherche Droit et Justice, vient de produire un panorama sur les recherches autour de la Justice et l’écologie.
le 21 juillet 2021
La rédaction : Pourquoi cette effervescence autour du droit de l’environnement ?
Julien Bétaille : L’urgence écologique se faisant sentir, il y a autour de ce droit un effet de panique : il est vu comme un moyen d’endiguer la crise. À l’inverse, d’autres soulignent que, malgré ces textes, nous n’avons jamais eu autant de problèmes environnementaux.
Mais ce droit est utile : les normes environnementales ont permis de limiter certains problèmes écologiques sur la pollution de l’air, l’étalement urbain ou la biodiversité. Des chercheurs ont montré que les pays européens soumis depuis longtemps aux directives « Habitat » et « Oiseaux », la situation des oiseaux est bien meilleure que dans les pays ayant intégré l’Union en 2004. Et qu’elle est pire hors de l’Union.
La rédaction : Le droit de l’environnement est essentiellement un droit administratif. Est-il efficace ?
Julien Bétaille : Le droit de l’environnement est initialement un droit de police administrative. Car il est souvent nécessaire d’obtenir une autorisation pour une activité polluante. Les travaux montrent une certaine mansuétude de l’administration vis-à-vis des activités polluantes. Les régimes de sanctions ne sont pas toujours appliqués.
La rédaction : Comment mettre fin à cette « culture de l’accommodement » dans la répression environnementale en matière administrative comme pénale ?
Julien Bétaille : La question est politique. Confronté sur le terrain aux pressions des acteurs, et au chantage à l’emploi, on peut avoir le sentiment que tous les moyens possibles sont utilisés pour éviter de frapper trop fort. Le dossier Lubrizol à Rouen le montre : il y a eu des inspections révélant des non-conformités. Le préfet a pris des arrêtés de mise en demeure. Dans ce cas, il y a souvent de nouvelles mises en demeure plutôt que des sanctions. Il y a un grand écart entre les textes votés et le terrain.
L’accès à la justice des associations permet de mettre en place des contre-pouvoirs pour éviter cette entente avec l’administration avec les entreprises ou les agriculteurs. Le pénal et le civil ouvrent des voies de droit à des acteurs extérieurs, notamment aux associations.
La rédaction : Que pensez-vous des dernières réformes en matière pénale ?
Julien Bétaille : Au niveau des parquets, la culture environnementale des magistrats est peu développée. Sans aller jusqu’à une véritable spécialisation, la loi sur le parquet européen a prévu de concentrer le contentieux sur certains tribunaux, au niveau des cours d’appel. Le regroupement des contentieux va permettre une montée en compétence des magistrats.
La loi Climat prévoit également de favoriser les mesures de réparation dans les alternatives aux poursuites. Ce sont des mesures que le ministère de la Justice privilégie souvent. On peut considérer cette politique comme pragmatique, mais souvent les atteintes à l’environnement sont irréversibles. Par ailleurs, cette politique laisse de côté la dimension préventive du droit pénal.
La rédaction : Le projet de loi prévoit également de renforcer les amendes pénales. Est-ce nécessaire ?
Julien Bétaille : Les travaux des économistes sont assez unanimes et soutiennent l’augmentation du montant des peines. Mais, sur le terrain, le montant des amendes effectivement prononcées est bien plus bas que le quantum maximal des textes. Ce qui est plus inquiétant, c’est que ce montant diminue ces dernières années.
La rédaction : La loi Climat instaure également de nouveaux délits, dont l’écocide. Qu’en pensez-vous ?
Julien Bétaille : Je pense qu’ils seront en grande partie inutiles. Le délit d’écocide, tel qu’il résulte des travaux parlementaires, contient des conditions difficiles à remplir, comme le critère de gravité ou une durée de sept ans pour l’atteinte. La convention citoyenne voyait l’écocide comme un remède miracle. Mais il était difficile pour le gouvernement d’aller aussi loin, en raison des limites constitutionnelles du droit répressif. L’approche retenue est un entre-deux qui ne satisfait personne.
Le gouvernement a choisi de ne pas faire d’infraction autonome et comme souvent, ces délits renvoient vers le droit administratif : l’incrimination pénale est basée sur le non-respect d’autorisation et de règlement. Pour l’instant, le choix n’a pas été fait de faire une incrimination autonome, qui pourrait plus facilement être appréhendée par le juge pénal. La seule qui existe est le délit d’atteinte aux poissons, d’ailleurs très largement utilisé par les magistrats (C. envir., L. 432-2).
Plus que de nouveaux textes, il faut travailler sur leur application et les maillons de la chaîne répressive. Alors que leurs pouvoirs augmentent, le nombre d’inspecteurs de l’environnement diminue : si vous ne détectez pas une infraction, vous n’allez pas pouvoir la sanctionner.
La rédaction : Sur les référés, faut-il aller plus loin ?
Julien Bétaille : La mission flash conduite par les députées Naïma Moutchou et Cécile Untermaier, notamment sur la place de l’environnement dans le référé liberté et l’assouplissement du référé suspension. Il y a eu une fin de non-recevoir du gouvernement, sans justification particulière.
La rédaction : Que penser de l’échec du projet de loi constitutionnelle ?
Julien Bétaille : La charte de l’environnement a donné des résultats décevants. Malgré les décisions récentes et son potentiel, son interprétation par le juge constitutionnel reste timide. La réforme constitutionnelle visait à rajouter une couche normative et son apport était limité. Ici aussi, il n’est pas nécessaire d’avoir de nouveaux textes, mais plutôt de les appliquer et s’interroger sur les verrous dans la pratique. Car, comme le souligne une récente décision de la cour constitutionnelle allemande : ne rien faire aujourd’hui sur les gaz à effet de serre, c’est limiter les libertés des générations futures.
Propos recueillis par Pierre Januel
Julien Bétaille
Julien Bétaille est maître de conférences à l’Université Toulouse 1.