Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Responsabilité de l’État : délai raisonnable de la durée d’une information judiciaire

N’excède pas un délai raisonnable la durée d’une information ouverte dans une affaire complexe en raison de sa dimension internationale et des enjeux de santé publique qu’elle soulève mais aussi du nombre important de mis en examen et témoins concernés.

par Anaïs Hacenele 25 septembre 2017

L’arrêt de rejet du 13 septembre 2017 rappelle qu’il n’est pas aisé d’engager la responsabilité de l’État pour défectuosité du service public de la justice. Précisément parce que la loi impose une carence suffisamment grave, un dysfonctionnement de la juridiction saisie en exigeant la preuve d’une faute qualifiée ou d’un déni de justice (COJ, art. L. 141-1).

Il s’agissait en l’espèce de deux personnes ayant trouvé la mort à la suite d’une maladie développée après la consommation de viande dans un restaurant. Le président d’une société filiale de la société en charge de la chaîne de restaurants dans laquelle la consommation de viande avait eu lieu fut d’abord mis en examen, notamment pour homicide involontaire ; tromperie sur l’origine, la qualité et la quantité de la viande ; violation d’une obligation de sécurité et mise en danger de la vie d’autrui, puis fut placé en détention provisoire et enfin sous contrôle judiciaire. Sa mise en examen fut annulée par la chambre criminelle en 2003. En 2013, il sollicita, par requête, une disjonction et un règlement de l’information le concernant. En 2016, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu.

Le président de la filiale assigna l’agent de justice d’État en réparation de ses préjudices sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire pour durée excessive de la procédure. La cour d’appel de Paris le débouta de ses demandes au regard, entre autres, de l’ampleur et de la complexité du dossier ayant donné lieu à toute cette procédure. Il forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt en invoquant pas moins de six arguments.

Il reprochait principalement à la cour d’appel d’avoir méconnu les articles L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme en ne relevant pas d’une circonstance exceptionnelle justifiant le maintien de sa mise en examen pendant une telle durée.

Toute la question était de savoir si le délai durant lequel la procédure avait été menée était excessif et constitutif d’un déni de justice de la part du juge.

Après contrôle de l’appréciation des circonstances faite par les juges du fond, la première chambre civile rejette le pourvoi en considérant que la complexité du dossier relevée par ces derniers justifiait la durée de la procédure et qu’en ce sens, « la durée de l’information judiciaire n’avait pas excédé un délai raisonnable ».

Pour la Cour de cassation, la décision a été rendue dans un délai jugé raisonnable conformément à ce que requiert l’article 6, § 1, de la Convention européenne et aucun déni de justice n’était imputable au service public de la justice. Faute de fait générateur, la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée en vertu de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Le déni de justice, entendu comme « tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu » (L. Favoreu, Du déni de justice en droit public français, t. 61, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1964, p. 559), vise « non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de refuser de juger les affaires en l’état de l’être mais aussi plus largement tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable » (TGI Nice, 17 sept. 2001, D. 2002. IR 543 ). L’État engage sa responsabilité pour dysfonctionnement de la justice dès lors que l’affaire n’est pas traitée dans un délai raisonnable (Civ. 1re, 22 mars 2005, n° 03-10.355, Bull. civ. I, n° 145 ; D. 2005. 987 ; 20 fév. 2008, n° 06-20.384, D. 2008. 791 , Resp. civ. et assur. 2008, Comm. 146) ou que la décision n’est pas exécutée dans un délai raisonnable (CEDH 28 juill. 1999, Immobiliare Saffi c. Italie, req. n° 22774/93, D. 2000. Somm. 186, obs. N. Fricero ; 20 déc. 2007, Kocsis c. Roumanie, req. n° 10395/02, Dr. et proc. 2008, n° 2, p. 9, obs. N. Fricero ; Civ. 1re, 17 mai 2017, n° 16-14.637, Dalloz actualité, 16 juin 2017, obs. M. Kebir isset(node/185374) ? node/185374 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185374) car, finalement, mettre trop de temps à juger (ou à faire exécuter une décision) revient parfois à ne pas avoir jugé du tout.

La solution est classique. Elle est toutefois l’occasion, pour la première chambre civile, de rappeler que le délai raisonnable, lequel caractérise la présence ou l’absence de déni de justice, est un standard qui s’apprécie in concreto par les juges du fond. Statuant conformément à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour de cassation insiste avec cet arrêt sur le fait que ce sont les circonstances entourant la procédure qui déterminent le caractère raisonnable ou excessif du délai dans lequel un jugement est rendu. C’est précisément l’état de complexité du dossier donnant lieu à la procédure qui justifie le délai mis pour rendre une décision (CEDH 28 juin 1978, König c/ RFA, série A, n° 27 ; 8 déc. 1983, Pretto et autres c. Italie, n° 7984/77, série A, n° 71 ; AFDI 1984. 483, obs. R. Pelloux ; JDI 1985. 228, obs. Tavernier ; CEDH, 5e sect., 11 févr. 2011, Malet c. France, n° 24999/07, § 64) ou pour la faire exécuter (CEDH 7 avr. 2005, Uzkureliene et autres c. Lituanie, n° 62988/00, § 31-37 ; 10 avr. 2012, Kochalidze c. Russie, n° 44038/05, § 13 ; 26 nov. 2013, Stoyanov et Tabakov c. Bulgarie, n° 34130/04, § 78).

Pour caractériser l’excessivité de la durée de la procédure, le juge se réfère à une sorte de faisceau d’indices. Régulièrement, la CEDH rappelle qu’il convient de tenir compte de la complexité de l’affaire, du comportement du requérant, de celui des autorités compétentes, du nombre de parties concernées mais aussi de la nature de l’action. La Cour européenne attend plus spécifiquement des juges nationaux qu’ils portent une « attention particulière » à certains contentieux dans l’appréciation de la durée raisonnable de leur examen. C’est le cas pour certaines procédures d’indemnisation (CEDH, 26 août 1994, Karakaya c. France, n° 22800/93, JCP 1995. I. 3823, obs. F. Sudre ; 22 mai 2003, Gouveia da Siva Torrado c. Portugal, n° 65305/01 ; 30 oct. 2014, Palmero c. France, n° 77362/11, Dalloz actualité, 24 nov. 2014, obs. M. Kebir ; JCP 1999. I. 105, obs. F. Sudre ; 8 avr. 2003, Julien c. France, n° 50331/99, Procédures 2003, n° 139, note N. Fricero) ou familial (CEDH 15 juill. 2003, E.R. c. France, n° 50344/99, BICC 2003, n° 1023 ; RTD civ. 2003. 691, obs. J. Hauser ; Procédures 2003, n° 195, note N. Fricero).

En l’espèce, pour justifier le temps mis à traiter le dossier, la Cour de cassation vise des éléments qui lui sont intrinsèques comme son caractère exceptionnel en raison de son ampleur, de sa complexité et du nombre de parties concernées. Elle relève également des éléments qui lui sont extrinsèques en relevant sa dimension internationale et l’enjeu de santé publique qu’il soulève. La complexité provient du dossier envisagé pour lui-même mais aussi du contexte dans lequel il s’inscrit. L’objet de l’affaire soumise aux juridictions est notamment sociétal. La dimension internationale de l’affaire et l’enjeu de santé publique dont il est question sont aussi des critères à prendre en compte pour apprécier le caractère raisonnable du délai de la procédure.

Pour toutes ces raisons, le temps pris pour rendre l’ordonnance de non-lieu n’était ni excessif ni déraisonnable. La Cour de cassation considère que les juges du fond ont mis en avant l’absence de dysfonctionnement du service public de la justice, et, par voie de conséquence, l’absence de responsabilité de l’État. Si le caractère raisonnable ou excessif du délai est apprécié par les juges du fond de façon casuistique, on remarquera que la Cour de cassation contrôle que la complexité de l’affaire ait bien été relevée par ces derniers. Au regard de constatations – nombreuses et développées – faites par la cour d’appel de Paris, il n’est pas surprenant que le pourvoi ait été rejeté par la Cour de cassation.

L’arrêt rapporté enseigne que, si toute décision de justice doit être rendue dans un délai raisonnable – faute de quoi l’État engage sa responsabilité –, toute procédure longue ne donne pas automatiquement lieu à une décision rendue dans un délai excessif. Ce n’est pas tant la longueur de la procédure qui constitue le fait générateur de la responsabilité de l’État mais la longueur injustifiée. C’est dans ce dernier cas qu’apparaît un véritable « dysfonctionnement ».