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Au regard de l’article 5 de la Convention européenne, le juge judiciaire doit se prononcer sur la nécessité de la prolongation de la détention provisoire lorsqu’elle a été prolongée de plein droit. Par ailleurs, l’article 144-1 du code de procédure pénale est inconstitutionnel en ce qu’il ne permet pas de mettre fin à la détention provisoire en cas de conditions indignes de détention.
par Florian Engelle 9 octobre 2020
Si l’activité juridictionnelle semble, par bien des aspects, avoir été mise en suspens pendant plusieurs semaines en raison de l’état d’urgence sanitaire, le contentieux de la détention provisoire n’a eu de cesse de s’étoffer depuis le début de l’année 2020. Par trois arrêts rendus les 1er et 16 septembre 2020, la Cour de cassation vient, s’il le fallait encore, confirmer et préciser sa jurisprudence quant au régime procédural applicable à la détention provisoire dans le contexte sanitaire lié à la covid-19. Une seconde évolution naissait conjointement et a été entérinée par le Conseil constitutionnel dans une récente décision du 2 octobre 2020, concernant cette fois l’effectivité du principe de sauvegarde de la dignité humaine eu égard aux conditions de détention.
La durée de la détention provisoire à l’épreuve de la covid-19
La prolongation de la détention provisoire ne peut, en théorie, se faire sans l’intervention d’un juge judiciaire, garant des libertés individuelles. L’état d’urgence sanitaire et la mise en place d’un confinement de la population ont néanmoins rebattu les cartes et la procédure de prolongation a été allégée pour adapter l’office du juge aux impératifs de santé publique. Cela ne pouvant se faire sans l’existence d’un cadre strict, la jurisprudence a dégagé l’obligation de l’intervention du juge pour examiner la nécessité de la prolongation, sans que cela exclue la possibilité pour lui de connaître des demandes de prolongation formulées pendant cette période.
L’incontournable contrôle par le juge judiciaire a posteriori
La prolongation privée de son juge. Le vent de la tourmente avait débuté avec l’adoption, en raison de la crise sanitaire, de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 (prise en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020) qui prévoit en son article 16 la prolongation de plein droit des délais maximum de détention provisoire. D’aucuns qualifiaient le contenu de cette ordonnance de « préoccupant » (v. M. Touillier, L’adaptation de la procédure pénale au malheur du temps, AJ pénal 2020. 186), ces dispositions permettant en effet, outre l’absence de débat contradictoire, d’éluder purement et simplement l’intervention du juge judiciaire pour décider de la prolongation de la mesure. Assez logiquement, le Conseil d’État avait été saisi de plusieurs recours contre ces dispositions par divers syndicats et associations. Le Conseil avait néanmoins déclaré ces dispositions valides puisqu’elles ne portent aucune atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales visées par les requérants (CE 3 avr. 2020, req. nos 439894, et 439877, 439887, 439890 et 439898, Dalloz actualité, 9 avr. 2020, obs. J.-B. Perrier). Le déconfinement rimant avec un retour à la normale, la situation antérieure fut rapidement rétablie par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020. Celle-ci est venue pallier les largesses de l’article 16 de l’ordonnance en ajoutant un article 16-1 qui prévoit désormais que, pour tout titre de détention expirant après le 11 mai 2020, l’intervention du juge judiciaire est obligatoire pour décider de sa prolongation.
Le rétablissement de l’intervention du juge. La Cour de cassation a cependant été saisie de la conformité de ces dispositions à la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui a donné lieu à deux arrêts du 26 mai 2020 (Crim. 26 mai 2020, nos 20-81.910 et 20-81.971, H. Christodoulou, Le juge judiciaire, seul garant de la liberté individuelle ?, Dalloz actualité, 29 mai 2020 ; D. 2020. 1274 , note J.-B. Perrier ; ibid. 1274 ; ibid. 1274 , note J.-B. Perrier , note J.-B. Perrier ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2020. 346, étude E. Raschel ; S. Détraz, La Cour de cassation s’oppose à la prolongation purement automatique des détentions provisoires prévue au titre de l’état d’urgence sanitaire, Le Club des juristes, 5 juin 2020). Ne partageant pas vraiment l’analyse du Conseil d’État, la Cour de cassation a reconnu que la prolongation de plein droit de la détention provisoire ne saurait être conforme à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme que si le juge judiciaire intervient afin de se prononcer sur le caractère nécessaire de la mesure. Procédant quasiment par une réserve d’interprétation, la Cour de cassation venait donc imposer un contrôle a posteriori de la prolongation par la juridiction compétente, après débat contradictoire et dans un délai qui ne saurait être supérieur, à compter de l’expiration du titre de détention, à un mois en matière correctionnelle et trois mois en matière criminelle ou après une condamnation en première instance. Par ces deux arrêts, la Cour cassait la décision des chambres de l’instruction qui ne s’étaient pas prononcées sur la nécessité du maintien en détention des intéressés. Par la même occasion, la Cour de cassation avait accepté, le même jour, de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 au bloc de constitutionnalité et notamment à l’article 66 de la Constitution et aux droits de la défense. N’étant saisi que de la question de la conformité de la loi d’habilitation du gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance sur la question de la détention provisoire, le Conseil constitutionnel a rendu le 3 juillet 2020 sa décision et confirmait à cette occasion la possibilité de recourir à la prolongation des détentions provisoires en expliquant que la lettre de la loi n’excluait pas toute intervention du juge (Cons. const. 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC, Dalloz actualité, 9 juill. 2020, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2020. 1384 ; D. 2020. 1408, et les obs. ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; Dr. pénal, sept. 2020, chron. 9, obs. F. Safi). Il prenait cependant soin de rappeler qu’une telle loi d’habilitation ne saurait dispenser le gouvernement du respect des exigences résultant de l’article 66 et notamment de l’intervention du juge en cas de prolongation d’une détention provisoire.
La pérennisation de la solution. C’est forte de cette jurisprudence abondante que la Cour de cassation s’est trouvée une nouvelle fois saisie, le 1er septembre 2020 (n° 20-82.983), d’une contestation de la régularité de la prolongation de la détention provisoire d’un mis en examen. En l’espèce, le requérant reprochait, à l’instar des pourvois précédemment examinés par la Cour, d’avoir fait l’objet d’une prolongation de sa détention sans intervention judiciaire, telle que prévue par l’article 16 de l’ordonnance précitée. Il avait alors saisi la chambre de l’instruction qui avait confirmé le 5 mai 2020 l’ordonnance du juge des libertés et de la détention constatant la prolongation de plein droit de la détention provisoire. Un pourvoi en cassation était donc formé par le requérant qui reprenait, au soutien de son pourvoi, les termes de la solution retenue le 26 mai 2020 par la chambre criminelle afin de bénéficier de l’interprétation bienveillante de la Cour de cassation. Il ne restait à cette dernière qu’à appliquer sa propre jurisprudence, rappelant ainsi au visa de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme que la prolongation de plein droit de la détention provisoire ne dispense pas la chambre de l’instruction de statuer sur la nécessité du maintien en détention provisoire. Si le requérant peut se féliciter d’une telle décision, celle-ci n’aura guère de conséquences sur sa situation personnelle puisque, par décision du juge des libertés et de la détention du 23 juin 2020, la prolongation de sa détention provisoire avait été jugée bien fondée dans le délai imparti. Aucune remise en liberté ne saurait donc résulter de la décision de la Cour. Ce nouvel arrêt, s’il ne fait que réaffirmer ce que la Cour avait déjà dit, a le mérite d’ancrer dans le droit positif une solution bienvenue. La doctrine s’était, à raison, émue des prolongations de plein droit des délais de détention provisoire et le rétablissement du rôle du juge dans ce contentieux était salutaire.
Le possible contrôle du juge judiciaire au moment de la prolongation
Le juge peut-il juger ? Puisque, nous l’avons vu, l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars permettait la prolongation de plein droit des délais maximum de détention provisoire pendant la période du confinement, faut-il en conclure que le juge des libertés et de la détention était incompétent pour se prononcer sur une telle prolongation ? C’est en ces termes que la question se posait devant la Cour de cassation qui s’est prononcée par un arrêt du 1er septembre 2020 (pourvoi n° 20-82.146). En l’espèce, le juge des libertés et de la détention avait été saisi par le juge d’instruction d’une demande de prolongation et avait rendu, le 30 mars 2020, une ordonnance après débat contradictoire validant cette prolongation pour une durée de six mois. Le ministère public avait interjeté appel et la chambre de l’instruction avait confirmé la prolongation, refusant ainsi d’annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. Un pourvoi a donc été formé par le procureur général.
Qui peut le moins peut le plus. La question, toute inédite qu’elle soit, ne manquait pas d’intérêt. L’adoption de la circulaire du 13 mai 2020 lui avait même donné toute son ampleur, tant ses termes tendaient à donner raison au ministère public. Tel que l’ont déjà remarqué certains auteurs (v. J.-B. Perrier, L’honneur de l’équilibriste, D. 2020. 1274 ), cette circulaire avance que l’article 16-1 de l’ordonnance, introduit par la loi du 11 mai 2020, poursuit notamment « l’objectif tendant à redonner aussi rapidement que possible aux juridictions leur compétence pour statuer, de façon contradictoire, sur les prolongations » (circ. du 13 mai 2020, NOR:JUSD2011710C). Or, pour redonner aux juridictions leur compétence, cela signifierait qu’elles l’avaient perdue… C’était donc, sans le dire, l’incompétence de la juridiction qui était soulevée par le ministère public. Il s’appuyait sur la violation de l’article 16 de l’ordonnance, qui prévoyait la prolongation de plein droit des délais de détention provisoire. L’argument ne pouvait néanmoins prospérer, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les arrêts du 26 mai semblent reconnaître que l’intervention du juge peut être réalisée a posteriori mais qu’il est bien de son office de se prononcer sur la nécessité d’une prolongation de la mesure, et ce même au moment auquel il est saisi de la demande. De la même manière que l’article 19 de l’ordonnance prévoit la possibilité d’écarter le débat en présentiel au profit d’échanges écrits, voire de visioconférence, l’article 16 doit être lu comme permettant d’écarter l’intervention du juge des libertés et de la détention mais sans pour autant l’interdire. Ensuite, parce que l’on voit mal ce qui justifierait qu’une prolongation du délai de détention provisoire soit considérée comme irrégulière parce qu’elle a été décidée dans des conditions plus favorables pour l’intéressé que ce que permet le droit… En effet, quel grief pourrait-on tirer de l’existence d’une décision prise par un juge, garant des libertés individuelles, alors que le droit permet de passer outre son intervention ? Si, sur le plan du droit, la question était justifiée, la solution nous semble emprunte d’une imparable logique.
Le maintien en détention provisoire à l’épreuve de la dignité
Les demandes de mise en liberté ont fait l’objet, comme les demandes de prolongation, d’aménagements permettant d’adapter le contentieux à la situation sanitaire. Aussi, l’ordonnance du 23 mars avait notamment prévu un allongement des délais impartis à la chambre de l’instruction ou au juge des libertés et de la détention pour se prononcer sur une demande de mise en liberté ou un appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté (ord. n° 2020-303 préc., art. 18). C’est néanmoins sous l’angle de la dignité que ce contentieux a pu prendre un nouvel essor, permettant désormais la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire. Il n’en fallut pas plus aux détenus pour se saisir de ces nouvelles problématiques en évoquant l’influence de la covid-19 sur leurs conditions de détention.
L’indignité source de mise en liberté
De l’indignité réparatrice… Si la problématique liée à l’évocation devant le juge des libertés et de la détention des conditions indignes au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas nouvelle, la solution paraissait acquise. En effet, tel que le rappelle le professeur Evan Raschel (E. Raschel, L’indignité des conditions de détention provisoire comme motif de mise en liberté par le juge judiciaire, Le Club des juristes, 17 juill. 2020, obs. ss Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739), la Cour de cassation reconnaissait auparavant que des conditions indignes de détention pouvaient au mieux engager la responsabilité de la puissance publique mais nullement justifier une demande de mise en liberté (Crim. 18 sept. 2019, n° 19-83.950, Dalloz actualité, 10 oct. 2019, obs. W. Azoulay ; D. 2019. 1761 ; AJ pénal 2019. 560, obs. J. Frinchaboy ; RSC 2019. 808, obs. Y. Mayaud ). Ainsi, seul l’état de santé du détenu (C. pr. pén., art. 147-1) ou le défaut de justification de la mesure (au regard des objectifs visés par C. pr. pén., art. 144) étaient à même de permettre à une demande de mise en liberté d’être accueillie. Pourtant, la procédure pénale n’est pas étrangère au « concept » de dignité qui, dès 2000, a été ajouté à l’article préliminaire du code de procédure pénale en reconnaissant que les mesures privatives de liberté ne doivent pas « porter atteinte à la dignité de la personne » (L. n° 2000-516, 15 juin 2000 ; v. not., sur le concept de dignité, Rép. pén., v° Dignité de la personne humaine, par D. Viriot-Barrial). La dignité avait par ailleurs acquis une valeur supralégislative lors des décisions « bioéthiques » puisque le Conseil constitutionnel avait déduit du Préambule de la Constitution de 1946 le principe à valeur constitutionnelle de dignité de la personne humaine (Cons. const. 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC, § 2, D. 1995. 237 , note B. Mathieu ; ibid. 205, chron. B. Edelman ; ibid. 299, obs. L. Favoreu ; RFDA 1994. 1019, note B. Mathieu ; RTD civ. 1994. 831, obs. J. Hauser ; ibid. 840, obs. J. Hauser ).
… À l’indignité libératrice
Cet état du droit fut néanmoins bouleversé par la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme le 30 janvier 2020 (CEDH 30 janv. 2020, J.M.B et autres c. France, req. n° 9671/15, Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna ; D. 2020. 753, note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré ). Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme reproche à la France de ne pas avoir prévu de recours préventif et effectif permettant à tout détenu de faire cesser une violation à l’article 3 de la Convention, à savoir un traitement inhumain et dégradant. En l’absence d’un tel recours, la constatation de conditions indignes de détention doit donc mener à la suspension de la mesure. Prenant en considération les exigences européennes, la Cour de cassation avait, dans un arrêt du 8 juillet 2020, reconnu que l’indignité des conditions de détention pouvait justifier la libération du détenu (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. C. Margaine ; AJDA 2020. 1383 ; ibid. 1383 ; D. 2020. 1774 , note J. Falxa ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy ; v. égal. J. Frinchaboy, Vers l’effectivité du recours juridictionnel préventif en cas de conditions indignes de détention, AJ pénal 2020. 404 ; E. Raschel, art. préc.). Elle avait, dans le même temps, accepté de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité des articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale au bloc de constitutionnalité. C’est dans ce contexte que la Cour fut de nouveau saisie d’une demande de mise en liberté au moyen de la violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne, ce qui donna lieu à un arrêt du 16 septembre 2020 (pourvoi n° 20-82.389). En l’espèce, un gardien de la paix avait été mis en examen pour le meurtre de sa femme. Il avait été placé sous mandat de dépôt dès 2016 et son avocat avait déposé, en avril 2020, une demande de mise en liberté devant la chambre de l’instruction. Cette dernière refusant la demande du requérant par un arrêt du 13 mai 2020, il formait alors un pourvoi en cassation. Le détenu soulevait deux moyens au soutien de son pourvoi. Le premier consistait à démontrer le caractère indigne de ses conditions de détention au regard de la mesure d’isolement dont il faisait l’objet depuis plusieurs années. Sur ce premier point, la Cour de cassation, s’appuyant sur l’arrêt J.M.B c. France et sur son arrêt du 8 juillet, rappelle que l’isolement et sa mainlevée relèvent de la compétence de l’administration pénitentiaire et qu’à ce titre, le détenu dispose de la possibilité de saisir le juge administratif d’une demande de référé afin qu’il se prononce sur la suspension de la mesure d’isolement. Aussi, la circonstance du placement à l’isolement ne saurait justifier une demande de mise en liberté, puisqu’il existe bien un recours permettant de faire cesser la mesure considérée comme indigne.
Une nouvelle étape fut franchie le 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel rendant sa décision sur la QPC transmise par la Cour de cassation le 8 juillet 2020. Les auteurs de la QPC soulevaient l’incompétence négative du législateur qui n’avait pas prévu, dans les textes régissant la détention provisoire, que le juge judiciaire devait mettre fin à cette mesure dès qu’étaient constatées des conditions indignes de détention. C’est donc plus particulièrement l’article 144-1 du code de procédure pénale qui était visé, n’imposant au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention d’ordonner la mise en liberté immédiate du détenu que dans le cas où l’une des conditions de l’article 144 n’était plus acquise. Les requérants se plaignaient d’une atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine tiré du Préambule de la Constitution de 1946 et d’une atteinte à la présomption d’innocence (DDHC, art. 9) et à la garantie du droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction (DDHC, art. 16). Le Conseil constitutionnel, au regard de ces textes, a considéré tout d’abord (et à l’inverse de la Cour de cassation) que la possibilité de saisir le juge administratif en référé n’était pas suffisante pour garantir qu’il soit mis fin à la détention indigne. Par ailleurs, ne se satisfaisant pas de la possibilité offerte à la personne placée en détention provisoire de demander sa mise en liberté par l’article 148 du code de procédure pénale, le Conseil déclare l’article 144-1 du même code contraire au bloc de constitutionnalité. Il considère en effet qu’en application de ces textes, le juge n’est tenu de faire droit à une demande de mise en liberté qu’en raison de l’absence de nécessité de la mesure au regard des critères de l’article 144 et qu’ainsi, « aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant de sa détention provisoire » (Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859, § 16). L’inconstitutionnalité ne prendra néanmoins effet que le 1er mars 2021, ce qui laissera au législateur un temps suffisant pour la réécriture du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale. Cette abrogation différée poursuit d’ailleurs un autre objectif, qui est celui de ne pas priver de base juridique les mises en liberté prononcée au regard des conditions de l’article 144 jusqu’à l’adoption du nouveau texte.
Cette solution semble devoir être saluée, tant elle promeut l’effectivité de la sauvegarde de la dignité de la personne placée en détention provisoire. Plus qu’une simple source de réparation, le grief tiré de l’indignité des conditions de détention devient aujourd’hui une arme aux mains de la défense pour garantir une privation de liberté conforme aux droits de l’homme. Une fois n’est pas coutume, les plus hautes juridictions auront, en 2020, parlé d’une seule et même voix pour reconnaître l’indignité des conditions de détention comme une cause de remise en liberté de la personne placée en détention provisoire. Véritable contre-pouvoir, le respect de la dignité devient un standard sans lequel une détention ne peut perdurer. Au regard de cette évolution considérable du droit positif, les plaideurs se sont emparés de ces questions afin de les confronter à la situation sanitaire inédite que nous connaissons. La Cour de cassation a donc dû se prononcer, à diverses reprises et encore très récemment, sur l’influence de la covid-19 sur la dignité des conditions de détention.
La covid-19, source d’indignité ?
Bis repetita
L’arrêt du 16 septembre 2020 comprenait un second moyen qui évoquait ici la question de savoir si la situation sanitaire pouvait permettre la remise en liberté d’un détenu. Encore une fois, la question n’était pas tout à fait nouvelle, puisque la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser que la seule référence à la situation sanitaire générale ne saurait justifier la mise en liberté d’un détenu au regard notamment des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut donc, pour tout individu soulevant la violation de ces articles, démontrer en quoi les conditions de détention du requérant pouvaient être considérées comme indignes eu égard au contexte sanitaire et en quoi il pouvait exister un risque réel et imminent pour sa vie. Elle avait alors jugé que la seule référence à l’état de délabrement des établissements pénitentiaires et au surpeuplement carcéral est insuffisante pour justifier d’une telle violation (Crim. 19 août 2020, n° 20-82.171, Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 1622 ; Lexbase pénal, 3 sept. 2020, la lettre juridique n° 834, obs. A. Léon). Cette solution s’inscrivait par ailleurs dans une logique plus générale, par laquelle la chambre criminelle impose que les atteintes à la dignité alléguées par les détenus soient motivées par des éléments précis et circonstanciés à leur situation personnelle (v. en ce sens Crim. 8 juill. 2020, préc.).
Une motivation insuffisante de la violation
Fort de cette solution, le requérant soulevait ici non seulement la situation de surpopulation carcérale de l’établissement dans lequel il purgeait sa peine mais également la présence d’un détenu contaminé qui avait été placé à l’isolement. Tout résidait alors dans la question de savoir si ces éléments étaient en lien avec les conditions personnelles de détention du requérant et s’ils étaient suffisamment crédibles, précis et actuels, constituant ainsi le « commencement de preuve » du caractère indigne et de l’atteinte à la vie. Tel ne semble pas être le cas en l’espèce, puisque la Cour s’est refusée à imposer à la chambre de l’instruction de procéder à des vérifications supplémentaires. La Cour reconnaît en effet que le requérant ne démontrait pas en quoi la situation sanitaire le touchait directement et qu’il n’avait pas « établi que les mesures sanitaires nécessaires pour prévenir l’entrée et/ou la propagation du virus au sein de l’établissement pénitentiaire n’auraient pas été mises en œuvre ». L’on peut alors s’interroger sur ce qui, en pratique, pourrait permettre d’établir ces éléments. Faudrait-il démontrer, par exemple, que le requérant avait pu avoir des contacts avec le détenu contaminé alors même que l’administration était informée de cette situation ? Toujours est-il que la preuve demandée par la Cour de cassation peut se révéler, à bien des égards, difficile à rapporter. Si l’impératif de préservation de l’ordre public justifie que toute détention ne prenne pas fin en raison de la situation sanitaire, il faudra néanmoins s’assurer de la possibilité raisonnable offerte aux détenus de soulever l’influence de la situation sanitaire sur leurs conditions de détention. Bien que ce constat ne soit en pratique que très partiellement vrai, il convient de ne pas oublier que la détention provisoire est (ou plutôt devrait être) l’exception, quand la liberté serait la règle, et ce a fortiori en ces temps troublés…
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