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Nouvelles cours criminelles, retour d’expérience des avocats

Quel premier état des lieux des cours criminelles peut-on faire ? Depuis septembre, les procès s’enchaînent dans les six départements concernés pour le moment par l’expérimentation. Le septième, à la cour d’assises des Ardennes, ne commencera l’expérimentation qu’à partir de 2020. Nous avons demandé à des avocats ce qu’ils retenaient des affaires jugées.

par Gabriel Thierryle 4 décembre 2019

Si le premier procès (v. Dalloz actualité, 6 sept. 2019, art. J. Mucchielli), une tentative de viol jugée à Caen, avait attiré l’attention de la presse nationale, c’est la presse régionale qui, depuis, s’est fait l’écho des jugements des cours criminelles. Créées par la loi de programmation 2018-2022 (v. Dalloz actualité, 16 mars 2018, obs. D. Goetz) et de réforme pour la justice, les cours criminelles, expérimentées pendant les trois années à venir (v. Dalloz actualité, 30 avr. 2019, art. T. Coustet), sont compétentes pour les accusés majeurs poursuivis, hors récidive, d’un crime puni de quinze à vingt ans de réclusion.

À Versailles, Sammy Jeanbart a ainsi défendu l’aide-soignant d’une maison de retraite, accusé des viols de trois pensionnaires, atteintes de la maladie d’Alzheimer. « On ne peut que se féliciter de ce qui a été organisé, signale-t-il à Dalloz actualité. Il y a un respect absolu des textes et le déroulé du procès a été strictement identique à celui d’une cour d’assises. » Les avocats surveillent attentivement le respect de l’oralité des débats, le dossier de la procédure étant à disposition des magistrats lors du délibéré.

Partie civile dans deux procès à Bourges, les 7 et 8 octobre, et à Versailles dans l’affaire des viols en maison de retraite, Me Carine Durrieu-Diebolt a noté de petites différences avec la cour d’assises. « Il y avait bien moins de pauses, remarque-t-elle. Les magistrats prennent d’habitude bien soin des jurés. » Ces deux affaires ont surtout été audiencées très rapidement. L’ordonnance de mise en accusation d’un des dossiers, jugé en octobre, datait du mois de juin, soit seulement quatre mois plus tard. Bien moins que le délai théorique d’écoulement des stocks des cours d’assises, de quatorze mois en moyenne en 2015.

Des durées similaires

Mais alors que les cours criminelles ont été imaginées pour permettre « des audiences un peu moins longues et, en conséquence, un audiencement plus rapide des affaires », selon l’étude d’impact, l’affaire de Me Jeanbart et de Me Durrieu-Diebolt à Versailles a été jugée sur deux jours. Soit une durée similaire à ce qui aurait pu être prévu en cour d’assises. Ce dernier a finalement été condamné à douze ans de réclusion. « Avec une cour d’assises, le délibéré, qui a duré environ une heure et demie, aurait peut-être duré plus longtemps », s’interroge Me Jeanbart.

Et même quand le jugement des affaires s’accélère, difficile d’aller plus vite. À Metz, le procès du client de Me Étienne Mangeot a finalement duré une journée, soit une demi-journée de moins que ce qui était prévu. Mais l’affaire suivante a été renvoyée, pour cause d’extinction de voix de l’avocate générale – absente au premier procès – du deuxième procès criminel. À Saint-Denis-de-la-Réunion, le dossier de viol défendu par Me Henri Moselle, prévu lui pour deux jours, a aussi avancé bien plus rapidement que prévu. « La cour criminelle a envisagé de juger l’affaire dans la journée, mais l’avocate générale n’était pas prête », assure-t-il.

La question du jugement

Les avocats se questionnent également sur les arrêts rendus par les magistrats des cours criminelles. Diffèrent-ils des décisions rendues par les jurés populaires des cours d’assises ? La recherche a déjà donné un début de réponse. Le directeur de recherche au CNRS Fabien Jobard, dans une étude sur les représentations pénales en France et en Allemagne publiée en juillet 2019, a conclu après une enquête par questionnaire que « les Français et leurs juges sont enclins à prononcer des peines souvent comparables ».

À Metz, Me Mangeot misait gros ce 28 octobre sur la nouvelle cour criminelle. L’avocat estimait en effet que son affaire, un dossier de viol sur conjoint, se prêtait mieux à un jugement par des magistrats professionnels. « Le débat allait porter sur l’élément intentionnel, ce qui peut être quelque chose de stratosphérique pour un juré populaire », indique-t-il à Dalloz actualité. Malgré un témoignage émouvant de la partie civile, l’avocat obtiendra finalement l’acquittement de son client, une décision conforme aux réquisitions du parquet. C’est d’ailleurs le premier acquittement prononcé par une cour criminelle. Me Henri Moselle estime lui aussi avoir obtenu une peine clémente de la cour criminelle de la Réunion : huit ans de prison pour un viol, alors que le parquet demandait douze ans.

Au contraire, Me Carine Durrieu-Diebolt se félicite, elle, des sanctions retenues à Bourges et à Versailles. « Dans ces deux affaires de viol, les accusés ont à chaque fois été sévèrement condamnés », avec des peines de huit et douze ans de prison. Pour l’avocate, les magistrats professionnels sont un gage d’une meilleure justice dans ces affaires de mœurs. Exemple avec des faits de pénétration digitale. « Habituellement, ce type de fait est minoré ou renvoyé en correctionnelle, car, comme la fellation, cela ne correspond pas à l’image d’un viol pour les jurés populaires », souligne-t-elle.

La charge de travail

Me Carine Durrieu-Diebolt conserve cependant un regard critique sur l’expérimentation. « Va-t-on vraiment aboutir à une décorrectionnalisation des viols avec cette réforme ? Si c’était le cas, ce serait extrêmement favorable, note-t-elle. Mais comment la justice va-t-elle réussir à alléger la charge ? Ce sont les mêmes salles d’audience et la cour criminelle nécessite cinq magistrats au lieu de trois. »

À défaut de forces vives, les dispositions encadrant la cour criminelle prévoient d’ailleurs que deux des assesseurs puissent être des magistrats exerçant à titre temporaire – les anciens juges de proximité – ou honoraire. Un recours déjà bien remarqué à la cour d’appel de Caen par les magistrats du Syndicat de la magistrature. Faute des moyens humains nécessaires, l’organisation syndicale s’interroge sur une réforme qui, in fine, substitue aux jurés populaires des juges à la retraite ou à mi-temps.