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Des travaux parlementaires sont en cours, afin de modifier l’incrimination de viol, pour y inclure la notion de consentement. Le président de la République et la Chancellerie s’y sont ralliés et une proposition de loi transpartisane devrait être présentée d’ici l’été.
Mais l’intérêt d’un tel changement divise juristes et militantes féministes.
par Pierre Januel, Journalistele 22 mars 2024
L’article 222-23 du code pénal définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise ». L’absence de consentement de la victime ne figure donc pas dans les éléments de l’infraction, qui interroge d’abord les actes de la personne mise en cause. Dans d’autres pays – Canada, Suède ou plus récemment Espagne – l’absence de consentement est au cœur de leur définition du viol.
L’exécutif et l’Assemblée cheminent vers une modification de la loi
En février, un projet de directive européenne de lutte contre les violences faites aux femmes entendait inclure cette notion de consentement dans les définitions des vingt-sept pays européens. La France s’y est alors opposé. Modifier la définition française par le droit européen n’était pas sans risque. Souvent mal écrit, le droit européen doit s’adapter à vingt-sept systèmes juridiques. La Commission européenne a donc renoncé à cette modification, mais ce débat a été repris par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Elle a lancé une mission d’information, portée par les députées Véronique Riotton (Renaissance) et Marie-Charlotte Garin (EELV).
Pour Véronique Riotton, « depuis début décembre, nous avons auditionné 120 personnes avec un questionnement ouvert sur la nécessité ou non de changer la loi. Il y a un constat partagé : de nombreux cas de viols ne sont pas traités dans la définition légale, notamment en cas de sidération de la victime. » La députée a progressivement acquis la conviction que la loi devait être changée.
Ces travaux ont eu un écho au sein de l’exécutif. Début mars, Emmanuel Macron s’est déclaré favorable à changer la loi : « Que le consentement puisse être inscrit dans le droit français, je l’entends tout à fait », ajoutant « Je vais l’inscrire dans le droit français. »
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, s’est fait plus précis dans un entretien à Madame Figaro : « Si j’appelle à la prudence s’agissant de la loi pénale, c’est normal dans mon rôle de garde des Sceaux, je ne m’interdis aucune réflexion sur la question de la définition du viol. La députée Véronique Riotton mène actuellement un important travail parlementaire et je serai très attentif aux propositions qui seront faites pour améliorer si besoin notre loi pénale ».
La mission parlementaire Riotton-Garin n’a pour l’instant pas conclu ses travaux. Pour Véronique Riotton, « nous allons proposer une écriture et revoir les personnes déjà auditionnées, afin de répondre aux différentes craintes ». L’objectif est d’aboutir à une proposition de loi transpartisane d’ici l’été, avec un consensus large.
Une modification débattue
Pour la doctoresse en droit, Catherine Le Magueresse, « si vous interrogez les non-juristes, le consentement figure déjà dans la définition légale du viol. Or, le droit actuel ne prévoit pas que son absence soit constitutive de l’infraction. Notre droit véhicule une présomption de consentement, ce qui est une aberration philosophique. »
Pour Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à Paris Nanterre, « le défaut de consentement est aujourd’hui défini de manière trop restrictive. Il y a des situations dans lesquelles la plaignante n’arrive pas à prouver la menace ou la contrainte. »
Une position également défendue par Shanine Elion-Gambou, de la Fédération nationale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) : « Dans la pratique, il est difficile d’appréhender la contrainte ou la menace en cas de sidération. D’autant que la justice doit prouver l’intentionnalité par l’agresseur. »
Mais pour Bruno Py, professeur de droit privé, « ce débat me semble sans intérêt en termes d’efficience de la loi. Le viol par surprise du consentement est déjà puni. »
L’avocate Lorraine Questiaux est elle aussi opposée : « La jurisprudence de la Cour de cassation est complète », citant plusieurs jurisprudences prenant en compte la « sidération psychique ». Pour l’avocate, « ce n’est pas la loi qui pose problème. C’est son application par les magistrats et les enquêteurs. Souvent, l’enquête s’arrête dès qu’il y a un consentement apparent. La culture du viol rend inefficace notre législation. » Introduire la notion de consentement dans la loi ne serait pas sans danger : « Le consentement est déjà la stratégie des agresseurs. Aujourd’hui, aux assises, les accusés ne cessent de clamer qu’ils se sont assurés d’un consentement. Qu’en sera-t-il demain si la loi intègre la notion ? »
Bruno Py craint également que l’on s’interroge demain sur les éventuels signes du consentement de la victime. « Concernant les autres infractions non-sexuelles, la loi ne prévoit pas de consentement de la victime. L’introduire laisserait entendre que la licéité d’un acte repose sur le consentement de la personne visée. C’est un transfert complet du droit pénal, contaminé par des raisonnements civilistes et contractuels. »
Mais pour Audrey Darsonville, « aujourd’hui c’est la victime qu’on interroge et c’est sur elle que pèse la charge. Demain, au lieu de démontrer la contrainte morale, on interrogera le suspect sur le fait qu’il s’est bien assuré du consentement de la victime. » Pour l’universitaire, ce ne sera ni une contractualisation des relations sexuelles, ni une présomption de culpabilité. « Il faudra toujours que les autorités de poursuites prouvent que l’auteur n’avait pas conscience du consentement de la victime ».
Pour la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, « on ne peut résumer les choses à la seule question du consentement : le viol est un abus de position dominante. Les femmes qui ont témoigné dans #MeToo disent souvent qu’elles n’ont pas pu dire non, face à la contrainte morale exercée. La domination des hommes sur des femmes se traduit par des violences sexuelles. »
Une modification qui se veut prudente
Réécrire la loi pénale n’est jamais sans risque. La loi espagnole de 2022 sur le consentement a ainsi abouti en un fiasco judiciaire. Des infractions ayant été fusionnées, la justice a accordé 1 233 réductions de peine à des délinquants sexuels, dont 126 ont été libérés prématurément de prison. Depuis, le législateur espagnol a revu sa copie. La note du syndicat de la magistrature souligne qu’une rédaction inadaptée ferait courir le risque que la définition actuelle soit interprétée restrictivement. La loi n’étant pas rétroactive, cela pourrait jouer contre les personnes victimes avant la nouvelle loi.
Véronique Riotton se veut rassurante : « Il ne s’agit pas de substituer les quatre éléments actuels par la notion de consentement. Il s’agirait plutôt de compléter notre définition pour prévoir des situations non couvertes. Notre volonté est d’aboutir à une solution efficiente et de respecter le droit des victimes, sans atteindre au droit constitutionnel ».
Favorable à ce changement, Audrey Darsonville reste mesurée : « Il ne faut pas se leurrer. Le changement de loi peut améliorer les choses, mais le problème central reste l’enquête et les moyens alloués à la justice ». Selon Anne-Cécile Mailfert, « il faut aussi améliorer la prise en charge de l’accueil des victimes et allouer des moyens aux enquêtes et à la justice. Et il faudra être vigilant sur la rédaction ».
Lorraine Questiaux constate : « Une loi ne coûte rien à changer. Le problème est que notre système judiciaire n’est pas en mesure de juger les viols. Depuis des années, les viols représentent déjà la moitié des crimes jugés. Or, seuls 3 % des viols finissent aux assises. » Malgré différentes extensions de notre définition sur le viol depuis vingt ans, le nombre de condamnations stagne : le nombre de condamnés est passé de 1 610 en 2002 à 1 293 en 2012, et 1 205 en 2022.
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