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Homicide involontaire et réparation du préjudice moral de l’enfant à naître

Le préjudice moral de l’enfant conçu avant et né après le décès de son père par homicide involontaire est réparable.

par Méryl Recotilletle 15 décembre 2020

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. » Tels sont les termes de l’article 2 du code de procédure pénale. Quid de la réparation du préjudice de l’enfant simplement conçu au moment de la commission de l’infraction dont son père a été victime ? C’est le problème résolu par la chambre criminelle dans son arrêt du 10 novembre 2020.

En l’espèce, en 2016, un individu était victime d’un homicide involontaire par conducteur de véhicule terrestre à moteur sous l’emprise d’un état alcoolique et de conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances. Sa compagne s’était alors constituée partie civile en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son fils, né quelques semaines après l’accident. L’assureur de la prévenue est intervenu à l’instance. L’affaire a été renvoyée sur les intérêts civils.

Statuant sur intérêts civils, le tribunal correctionnel a condamné la prévenue à verser la somme de 10 000 € à la compagne du défunt en qualité de représentante légale de l’enfant, au titre du préjudice moral de celui-ci. L’assureur a relevé appel de cette décision. En cause d’appel, les juges ont confirmé la solution de la juridiction de première instance, ce qui a conduit l’assureur à se pourvoir en cassation. La chambre criminelle était alors saisie de la problématique suivante : la cour d’appel pouvait-elle légitimement considérer que l’enfant simplement conçu au moment de l’accident dont son père a été victime peut obtenir la réparation d’un préjudice moral sans méconnaître les articles 1240 et 1241 du code civil, ensemble les articles 2 et 3 du code de procédure pénale ?

La Cour de cassation répond de façon positive à cette question et rejette purement et simplement le pourvoi.

Pour comprendre cette solution, il faut remonter quelque peu le temps et regarder du côté de la jurisprudence de la chambre civile. Dans un arrêt du 24 février 2005 (Civ. 2e, 24 févr. 2005, n° 02-11.999, Bull. civ. II, n° 53 ; D. 2005. 671, obs. F. Chénedé ; ibid. 2006. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2005. 404, obs. P. Jourdain ), se fondant sur la théorie de la causalité adéquate, la deuxième chambre civile concluait que l’auteur d’un accident n’était pas responsable pour la réparation du préjudice par ricochet souffert par les enfants de la victime qui étaient seulement conçus lors du fait générateur. Cependant, les juges sont revenus sur leur position en 2017 (Civ. 2e, 14 déc. 2017, n° 16-26.687, Bull. civ. II. n° 235, Dalloz actualité, 10 janv. 2018, obs. A. Hacène ; D. 2018. 386 , note M. Bacache ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ fam. 2018. 48, obs. M. Saulier ; RDSS 2018. 178, obs. T. Tauran ; RTD civ. 2018. 72, obs. D. Mazeaud ; ibid. 92, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 126, obs. P. Jourdain  ; Gaz. pal. 2018. 214, note Dupré ; JCP 2018, n° 204, note Binet ; RCA 2018. Étude 3, par Hocquet-Berg ; LPA 24 mai 2018, note Bertier-Lestrade), estimant que, dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il n’était qu’un fœtus. Dans le présent arrêt, la chambre criminelle s’est alignée sur cette jurisprudence civile.

En premier lieu, la haute juridiction s’est appuyée sur l’appréciation concrète réalisée par les juridictions du fond (« L’évaluation du dommage causé à la victime d’un accident doit être faite par les tribunaux en appréciant les divers éléments de ce dommage au moment où ils rendent leur décision », Crim. 6 mai 1987, n° 86-91.206, Bull. crim. n° 180). Dans leur analyse, ces derniers se sont attachés à démontrer que l’enfant était conçu au moment de l’accident et qu’il était bien le fils de la victime. Il a ainsi été relevé que l’enfant est né un mois et sept jours après l’accident et que les parents vivaient ensemble depuis trois ans. Ainsi, les magistrats se sont fondés sur la durée du concubinage combinée à l’avancée de la grossesse pour conclure que l’enfant était celui du père décédé.

En second lieu, la Cour de cassation s’est intéressée au préjudice. Ce dernier était caractérisé par l’absence « définitive » du père auprès de son fils, laquelle « sera toujours ressentie douloureusement par l’enfant qui devra se contenter des souvenirs de sa mère et de ceux de ses proches pour connaître son père et construire son identité ». En somme, les juges admettent un préjudice futur qu’ils le considèrent comme certain, de sorte qu’un lien de causalité entre le décès accidentel et ce préjudice a été établi. Cette position n’est pas sans rappeler la solution adoptée à l’égard de l’enfant né d’un viol (Crim. 4 févr. 1998, n° 97-80.305, Bull. crim. n° 43, D. 1999. 445 , note D. Bourgault-Coudevylle ; RSC 1998. 579, obs. J.-P. Dintilhac ; RTD civ. 1999. 64, obs. J. Hauser  ; JCP 1999. II. 10178, note Moine-Dupuis ; Dr. pénal 1998. Comm. 104, obs. A. Maron). La jurisprudence pénale prévoit en effet que le préjudice subi par l’enfant, qui ne résulte pas de sa seule naissance mais de la connaissance qu’il aura des faits en grandissant, des difficultés de construction et de l’impossibilité de faire établir son lien de filiation paternelle, est indemnisable (Crim. 23 sept. 2010, n° 09-84.108, Bull. crim. n° 141, D. 2010. 2365, obs. M. Léna ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 124, chron. L. Lazerges-Cousquer, A. Leprieur et E. Degorce ; ibid. 2231, obs. J. Pradel ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; Just. & cass. 2011. 61, étude P. Chaumont ; ibid. 182, avis X. Salvat ; AJ pénal 2011. 27 , étude C. Ambroise-Castérot ; RTD civ. 2011. 132, obs. P. Jourdain ).