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Le bail commercial, la bonne foi et le juge face à la pandémie

Si le locataire d’un bail commercial ne peut opposer ni force majeure ni défaut de délivrance pour s’exonérer du règlement de ses loyers durant la période de fermeture administrative, les parties doivent s’interroger, dans de telles circonstances, quant à la nécessité d’aménager les modalités d’exécution de leurs obligations respectives.

par Pierre de Platerle 26 mars 2021

Si la bonne foi peut imposer aux parties d’adapter les modalités d’exécution de leurs obligations contractuelles, le locataire ne peut opposer, pour échapper au règlement de ses échéances, un manquement du bailleur à son obligation de délivrance en raison de l’interdiction administrative d’exploiter. Par ailleurs, qualifier la pandémie d’« événement de force majeure » suppose que ses conséquences soient irrésistibles pour le locataire, au regard de ses capacités financières et des mesures légales et réglementaires mises en place pour en limiter les effets.

Les règles guidant les contentieux locatifs en période de covid-19 sont nombreuses. Il est possible de déceler les dispositions spéciales du statut des baux commerciaux, les règles temporaires relatives à l’urgence sanitaire – évoluant au fil des « marées pandémiques » – et les règles de droit commun dépendant du code civil, dont le caractère majoritairement supplétif attisait peu l’intérêt, jusqu’à une période récente.

La crise sanitaire semble bien avoir changé la donne.

La décision commentée fait application de ces trois corpus et apporte de précieux indices quant à l’invocation par le locataire de la force majeure et de l’obligation de délivrance du bailleur.

En l’espèce, un bail authentique est conclu entre les parties, le 5 septembre 2014. Le 9 juin 2020, le bailleur fait délivrer à son locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire stipulée au bail, pour un montant d’environ 5 700 €. N’ayant pas apuré les causes dudit commandement dans le délai d’un mois, le locataire est assigné en référé devant le président du tribunal judiciaire compétent. Par une ordonnance du 23 septembre 2020, la juridiction constate l’acquisition de clause résolutoire, fixe le montant de la dette du locataire, celui de l’indemnité d’occupation et prononce son expulsion. Le 23 octobre 2020, le locataire relève appel de cette décision devant la cour d’appel de Riom, qui confirme la décision du premier juge après s’être assurée que la date d’effet du commandement n’entrait pas en contradiction avec les dispositions de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

Avant toute analyse, nous relèverons que les dispositions relatives à la neutralisation des sanctions de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 n’étaient pas évoquées devant le juge d’appel, à l’instar des dispositions afférentes à l’éligibilité au fonds de solidarité (ord. n° 2020-317, 25 mars 2020).

Défaut de délivrance et contrainte de police administrative

Le locataire opposait tout d’abord un défaut de délivrance de son bailleur, en ce que l’exploitation du local n’avait pas été possible durant la période d’avril et mai 2020.

Pour la cour, si cette impossibilité d’exploiter est avérée, elle n’est néanmoins pas imputable au bailleur, auquel s’imposait également la mesure. Aucun manquement n’est donc imputable au bailleur, dont la seule obligation est d’assurer au locataire la jouissance du local conformément à sa destination contractuelle, et non de lui garantir que « le bail sera fructueux ». Une distinction est alors opérée entre la mise à disposition des locaux, qui n’était pas remise en cause, et l’exploitation du fonds de commerce, qui était quant à elle, perturbée. Preuve que le bailleur n’avait commis aucun manquement, le locataire pouvait toujours consentir une sous-location des locaux, « stocker sa marchandise, [et] faire des travaux d’amélioration ou de rénovation » (dans le même sens, v. TJ Paris, 25 févr. 2021, n° 18/02353, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. J. Monéger ; ibid., Le Droit en débats, 9 mars 2021, obs. J.-D. Barbier ; D. 2021. 524 ; AJDI 2021. 210 , obs. J.-P. Blatter ; a contrario le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a pu évoquer une « impossibilité objective » ; v. TJ Paris, 27 oct. 2020, n° 20/81460, ou une « impossibilité juridique » d’exploiter ; TJ Paris, 20 janv. 2021, n° 20/80923, sur le fondement de la perte de la chose).

La juridiction relève, au surplus, que le bail contenait des stipulations exonérant le bailleur au titre d’éventuels troubles de jouissance subis par son locataire.

Le moyen développé par le locataire tenant au prétendu défaut de délivrance du bailleur ne constituait pas une contestation sérieuse de nature à faire obstacle au constat d’acquisition de la clause résolutoire et au règlement des loyers dus pendant la période de fermeture administrative.

Force majeure et défaut d’irrésistibilité

Bien que la décision ne détaille pas l’argumentaire des parties sur ce point, la juridiction appréhende la qualification de la pandémie au regard de la définition de la force majeure. Et plus particulièrement, au regard du critère d’irrésistibilité. Deux catégories d’arguments sont alors avancées, menant in fine à l’exclusion de la force majeure.

Tout d’abord, ce fondement est inopérant lorsque le locataire a les moyens financiers de régler ses loyers. Il s’agit en l’espèce d’un critère subjectif, qui suspend la qualification de force majeure à la situation financière du locataire (Paris, pôle 1, ch. 2, 18 mars 2021, n° 20/13420 ; Grenoble, 5 nov. 2020, n° 16/04533, Dalloz actualité, 4 déc. 2020, obs. M. Pagès et S. Torrent ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; JT 2021, n° 237, p. 12, obs. X. Delpech ). Cette condition n’est pas avérée, un des comptes bancaires de l’entreprise faisant état d’un solde créditeur de près de 350 000 €.

Ensuite, la juridiction précise que la mise en place d’un fonds de solidarité et de mesures de report ou d’étalement de paiement des loyers « démontre que le législateur ne reconnaît pas le caractère de force majeure à la pandémie ». En d’autres termes, la juridiction semble considérer que la mise en place de mesures pour limiter les conséquences de la pandémie fait obstacle à la condition de l’irrésistibilité (dans le même sens, v. T. com. Lyon, 11 nov. 2020, n° 2020J00420, Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ).

Ainsi, le fait que le contrat devienne moins profitable au débiteur – et donc, au locataire – ne permet pas de considérer que l’événement serait irrésistible (Droit du contrat, Lamy, 2018, § 2024, p. 981 ; v. égal. S. Regnault, Covid et bail commercial, AJ Contrat 2020. 193 ).

L’argument tenant à l’impossibilité de procéder au règlement de son loyer par le locataire est donc rejeté, la juridiction rappelant le désormais célèbre arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a refusé l’application de la force majeure au débiteur d’une obligation portant sur une somme d’argent inexécutée (Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306, Dalloz actualité, 2 oct. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 2217 , note J. François ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier ).

La bonne foi ou la contrainte du compromis

Le principe de la bonne foi a irrigué l’argumentation de la cour de Riom, tout le long de la décision. En effet, si la force majeure et le défaut de délivrance ont tous deux été rejetés, il n’en demeure pas moins que la juridiction reconnaît dans la pandémie, une situation particulièrement délicate qui tend à mettre en difficulté les relations contractuelles. Se rapportant aux articles 1103 et 1104 nouveaux du code civil, la juridiction juge que « les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives ». Si ce principe est finalement rappelé dans la grande majorité des décisions couvrant la présente thématique (T. com. Nancy, 16 déc. 2020, n° 2020008085), l’on retrouve cette formule, reprise dans des termes identiques dans plusieurs décisions récentes (TJ Paris, 21 janv. 2021, n° 20/55750, Dalloz actualité, 27 janv. 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; AJDI 2021. 122 , obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; 26 oct. 2020, n° 20/55901, D. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ). Ayant relevé que le bailleur avait effectivement proposé un report et un échelonnement des loyers concernés par la période de confinement, « jusqu’à la fin de l’année en cours », celui-ci avait satisfait à son obligation de bonne foi, en aménagement les modalités contractuelles, pour tenir compte de l’impact de la crise sur l’activité de son locataire.

Si cette décision ne permet pas de présumer l’état de la jurisprudence future, la cour d’appel de Riom a procédé à une étude circonstanciée des moyens qui lui ont été soumis, qui n’est pas toujours de mise devant le juge de l’évidence. Un moyen n’était cependant pas évoqué : celui de la perte de la chose, pris sur la base de l’article 1722 du code civil. Fondement qu’un certain nombre de décisions successivement rendues semblent favorablement apprécier, l’intégrant de facto parmi les dispositions de droit commun qui retiendront sans aucun doute l’attention des rédacteurs d’actes (Versailles, ch. 14, 4 mars 2021, n° 20/02572).